Quatuor Belcea – Debussy & Szymanowski - Quatuors
Quatuor Belcea – Debussy & Szymanowski - Quatuors
Un album majeur, à la fois lumineux et profond, qui s’impose d’ores et déjà comme une référence moderne pour Debussy et surtout Szymanowski.
Alpha Classics (ALPHA1074)
Note: 5/5
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Il est rare qu’un disque de quatuor à cordes parvienne à la fois à renouveler profondément l’écoute d’œuvres majeures du répertoire et à s’imposer comme une référence moderne pour des partitions plus rares. C’est pourtant ce que réalise ici le Quatuor Belcea, réunissant Debussy et Szymanowski dans un programme qui frappe par son intelligence dramaturgique autant que par la qualité quasi miraculeuse de son interprétation.
Il est rare qu’un disque de quatuor à cordes parvienne à la fois à renouveler profondément l’écoute d’œuvres majeures du répertoire et à s’imposer comme une référence moderne pour des partitions plus rares. C’est pourtant ce que réalise ici le Quatuor Belcea, réunissant Debussy et Szymanowski dans un programme qui frappe par son intelligence dramaturgique autant que par la qualité quasi miraculeuse de son interprétation.
Vingt-cinq ans après leur premier enregistrement du quatuor de Debussy, les Belcea reviennent à cette œuvre-phare avec une formation légèrement renouvelée et une vision tout autre. Leur première lecture, plus droite, plus "réaliste", s’inscrivait dans un héritage lyrique qui pouvait évoquer la précision classique du Quartetto Italiano. La version nouvelle, en revanche, semble célébrer l’irisation impressionniste du tissu debussyste : le son ne sculpte plus l’espace, il le fait vibrer. Comme passer de Manet à Monet, d’un réalisme structuré à une lumière mouvante qui dissout les contours. L’élan, la transparence, les couleurs sans cesse changeantes donnent l’impression d’une œuvre respirant à nouveau — ou peut-être pour la première fois — avec la liberté d’un paysage qui s’ouvre devant nous.
La réussite du Debussy serait déjà remarquable si elle n’était pas poursuivie par un accomplissement encore plus éclatant : les deux quatuors de Karol Szymanowski. Ces œuvres magistrales demeurent trop peu enregistrées, et les versions de référence n’étaient jusqu’ici que l’apanage de formations profondément liées au compositeur. Les Belcea n’imitent ni la robustesse terrienne des quatuors polonais ni la densité de certains ensembles germaniques ; ils inventent une autre voie, plus souple, plus délicate, presque aquarellée dans ses transitions, et pourtant d’une intensité qui perce le vernis de la beauté pure pour rejoindre quelque chose de plus intime et de plus brûlant.
Le Quatuor n°1, œuvre née dans la mémoire douloureuse du domaine familial de Tymoszówka — perdu à jamais dans la tourmente historique — respire ici une chaleur vibrante, presque organique. On y entend moins un folklore stylisé qu’un écho lointain, une nostalgie lumineuse où la canicule ukrainienne se mêle au bourdonnement des insectes. Les Belcea façonnent cette matière avec une subtilité qui bouleverse : les couleurs semblent flotter à la surface, dessinant un paysage sonore qui tremble comme un horizon au soleil. Là où d’autres ensembles sculptent le drame, les Belcea privilégient l’évocation, l’allusion, une poésie profondément intérieure qui ne sacrifie jamais la clarté.
Dans le Quatuor n°2, la fusion est encore plus impressionnante. Héritier direct des rythmes des Tatras, cousin du ballet Harnasie, cette pièce associe rudesse et ivresse, forces telluriques et éclats hallucinés. Les Belcea ne s’engouffrent pas dans une rusticité musclée : ils choisissent d’éclairer les angles, de fluidifier les transitions, de révéler les sous-couches harmoniques et les tensions polytonales. Là où certains y entendent un folklore héroïque, eux y trouvent une matière rêveuse, presque visionnaire. La musique devient danse spectrale, énergie suspendue, mouvement qui s’enroule sur lui-même pour éclater soudain dans des fulgurances d’une précision stupéfiante.
L’ensemble du disque bénéficie d’une captation ample, chaleureuse, même si légèrement asymétrique dans la présence du premier violon. Mais la qualité générale — profondeur, cohésion, finesse des timbres — demeure remarquable. L’équilibre instrumental, la complémentarité des timbres, la maîtrise souveraine des attaques et du phrasé donnent parfois l’impression d’écouter un seul instrument aux multiples voix, une entité organique d’une homogénéité exceptionnelle.
À l’arrivée, l’album séduit par son intensité poétique autant que par son autorité interprétative. Les Belcea ne cherchent pas à s’imposer comme référence : ils le deviennent simplement, par la précision de leur geste, par la justesse de leur imagination, par une manière unique de faire respirer les œuvres sans les contraindre. C’est un disque qui appelle l’écoute répétée, non pour percer ses secrets, mais parce que sa beauté semble toujours se renouveler.

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