Antonia Bembo: L’Ercole amante - Yannick Debus (Ercole), Alena Dantcheva (Deianira), Anita Rosati (Iole), David Tricou (Hyllus), Flore van Meersche (Giunone), Chelsea Marilyn Zurflüh (Venere, Pasithea), Arnaud Gluck (Paggio), Andrés Montilla-Acurero (Licas), Hans Porten (Nettuno, Mercurio, Eurytus) Il Gusto Barocco — direction : Jörg Halubek
Antonia Bembo: L’Ercole amante - Yannick Debus (Ercole), Alena Dantcheva (Deianira), Anita Rosati (Iole), David Tricou (Hyllus), Flore van Meersche (Giunone), Chelsea Marilyn Zurflüh (Venere, Pasithea), Arnaud Gluck (Paggio), Andrés Montilla-Acurero (Licas), Hans Porten (Nettuno, Mercurio, Eurytus) Il Gusto Barocco, direction : Jörg Halubek
Ce double album est bien plus qu’une redécouverte érudite : c’est une révélation.
Il démontre qu’Antonia Bembo, loin d’être une simple épigone de Cavalli, fut une créatrice à la personnalité affirmée, capable de forger un langage où se rencontrent la sensualité italienne, la mesure française et une sensibilité personnelle, presque préclassique. L’interprétation d’Il Gusto Barocco, fine et nuancée, restitue cet équilibre avec une élégance rare. Malgré quelques coupures qui laissent entrevoir davantage qu’elles ne montrent, ce Ercole amante s’impose comme un jalon majeur dans la redécouverte du baroque féminin.
CPO 555 728-2
Note: 4,5 / 5
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Antonia Padoani Bembo, née à Venise vers 1640, appartient à cette génération d’artistes qui ont incarné la transition entre le baroque italien et la sensibilité française du Grand Siècle. Élève de Francesco Cavalli, elle connut une existence à la fois brillante et tourmentée. Mariée à un homme violent dont elle tenta en vain de divorcer, elle s’exila à Paris où Louis XIV lui accorda une pension et un logement dans un refuge pour femmes nobles.
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Antonia Padoani Bembo, née à Venise vers 1640, appartient à cette génération d’artistes qui ont incarné la transition entre le baroque italien et la sensibilité française du Grand Siècle. Élève de Francesco Cavalli, elle connut une existence à la fois brillante et tourmentée. Mariée à un homme violent dont elle tenta en vain de divorcer, elle s’exila à Paris où Louis XIV lui accorda une pension et un logement dans un refuge pour femmes nobles.
C’est là, à la fin de sa vie, qu’elle composa L’Ercole amante (1707), unique opéra de son catalogue, jamais représenté de son vivant. Cette partition, demeurée manuscrite à la Bibliothèque nationale de France, s’impose aujourd’hui comme un témoignage fascinant sur l’hybridation des styles à l’aube du XVIIIᵉ siècle.
L’ouvrage reprend intégralement le livret de Francesco Buti, déjà mis en musique par Cavalli pour la cour de France en 1662. Bembo en supprime seulement le prologue allégorique, mais conserve la structure dramatique et le texte des cinq actes. Ce choix révèle une volonté d’hommage autant qu’un geste intellectuel : il ne s’agit pas de rivaliser avec Cavalli, mais de repenser, quarante ans plus tard, le même poème sous un prisme nouveau, celui de la synthèse entre goût italien et goût français — ce que Couperin appellera les goûts réunis.
La musique de Bembo mêle les accents expressifs du recitar cantando à une orchestration d’une délicatesse toute parisienne. Les récitatifs, souvent ponctués de brefs ritornellos instrumentaux, se resserrent pour mieux servir la déclamation ; les airs alternent entre l’intimité du lamento et la grâce chorégraphique des danses françaises.
L’ensemble respire une liberté d’écriture qui évoque autant Cavalli que Lully, tout en annonçant déjà la sensibilité de Campra ou de Destouches.
Le travail de Jörg Halubek et de son ensemble Il Gusto Barocco constitue la première restitution moderne de cet opéra resté inédit. Le chef choisit une version resserrée — les récitatifs sont abrégés, certaines scènes secondaires retranchées —, mais l’esprit général de l’œuvre demeure intact.
L’allègement de la structure dramatique met en valeur la clarté des affects et l’économie des moyens, sans jamais trahir la richesse stylistique de Bembo.
L’orchestre, composé d’une petite formation de cordes, hautbois, flûtes, basson, harpe, luth et clavecin, offre une sonorité d’une élégance chambriste. Le continuo, varié et souple, soutient la déclamation avec une science du souffle et de la respiration admirable. Les transitions entre récitatif et air s’enchaînent avec une aisance d’autant plus remarquable que la partition, souvent lacunaire dans ses indications, a dû être réinventée.
Halubek ne cherche pas la grandeur ni la pompe : il privilégie la clarté, la ligne et la couleur — un choix d’une grande intelligence musicale.
Le rôle-titre, tenu par Yannick Debus, s’impose par une noblesse tourmentée : son Hercule oscille entre orgueil et faiblesse, brutalité et mélancolie. La déclamation est ferme, la projection noble, le style d’un naturel rare.
Face à lui, Alena Dantcheva campe une Déjanire d’une pudeur poignante, tragique sans emphase. Son grand air de jalousie, d’une tension dramatique saisissante, concentre à lui seul tout l’art de Bembo : une harmonie mobile, un chromatisme expressif, un tempo suspendu.
Anita Rosati (Iole) et David Tricou (Hyllus) forment un couple lumineux, d’une jeunesse rayonnante ; leur duo du troisième acte atteint un équilibre parfait entre intensité et grâce.
Flore van Meersche (Junon) et Chelsea Marilyn Zurflüh (Vénus, Pasithée) animent les scènes célestes d’une vivacité réjouissante. Leur affrontement verbal — symbole de la rivalité cosmique entre amour et jalousie — constitue l’un des sommets de l’œuvre.
L’ensemble vocal, homogène et stylé, évite toute surcharge expressive. Les chœurs, discrets mais présents, rappellent la filiation lulliste par leur prosodie régulière et leur phrasé dansant.
Une écriture orchestrale d’une rare subtilité
L’orchestre de Bembo, peu fourni mais d’une imagination colorée, révèle une science du timbre qui surprend par sa modernité.
Les ritornelli et sinfonie alternent avec de délicates séquences de danses, tandis que certaines pages — notamment la scène de la caverne du Sommeil ou le quatuor funèbre de la fin — atteignent une intensité harmonique exceptionnelle.
La compositrice manie avec souplesse le contrepoint et la dissonance expressive ; les enchaînements harmoniques, d’une audace toute italienne, s’équilibrent par la rigueur rythmique héritée de la tradition française.
La prise de son réalisée au studio SWR de Stuttgart se distingue par sa clarté et son équilibre. Les voix se détachent avec précision sans jamais dominer un orchestre dont la transparence reste constante.
Le grain instrumental — flûtes veloutées, cordes souples, harpe et luth finement ciselés — confère à l’ensemble une lumière naturelle. On peut regretter une spatialisation un peu centrée, mais la lisibilité globale demeure irréprochable.
Cet enregistrement impose une esthétique d’intimité et de mesure : pas de grandiloquence, mais un raffinement constant, une élégance sans ostentation, une intelligence du texte et de l’espace sonore.
L’Ercole amante s’impose comme une œuvre de transition, mais aussi comme un manifeste artistique. Bembo y revendique, à travers le mythe d’Hercule, une vision féminine du pouvoir, de la passion et de la rédemption. Sa musique, d’une modernité insoupçonnée, relie Cavalli à Rameau et annonce le cosmopolitisme du XVIIIᵉ siècle.
Le travail de Halubek et d’Il Gusto Barocco fait plus qu’exhumer une curiosité : il restitue à une compositrice oubliée sa juste place dans l’histoire de l’opéra européen.
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