Jean-Philippe Rameau: Castor et Pollux - Teodor Currentzis - Peter Sellars - Orchestre et Chœur Utopia - Jeanine De Bique, Reinoud Van Mechelen, Stéphanie d'Oustrac

Jean-Philippe Rameau: Castor et Pollux - Teodor Currentzis - Peter Sellars - Orchestre et Chœur Utopia - Jeanine De Bique, Reinoud Van Mechelen,  Stéphanie d'Oustrac

Une relecture audacieuse de Castor et Pollux, un Rameau transfiguré, une distribution vocale contrastée, un pari risqué mais captivant.











Opéra de Paris
Note : 4/5



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Il fallait s’y attendre : cette nouvelle production de Castor et Pollux de Rameau à l’Opéra de Paris allait diviser. Avec Peter Sellars à la mise en scène et Teodor Currentzis à la direction musicale, le chef-d’œuvre baroque a subi une transformation radicale, loin des canons esthétiques habituels. Résultat ? Une lecture à la fois fascinante et déroutante, qui conjugue intensité dramatique et options stylistiques discutables.

Dès les premières minutes, le spectateur comprend qu’il ne verra pas un Castor et Pollux traditionnel. Exit la pompe mythologique et les décors baroques : la mise en scène de Sellars joue sur l’épure, le symbolisme et une dramaturgie engagée. Le prologue belliqueux se transforme en un message de fraternité universelle, un parti pris qui, s’il séduit par sa portée contemporaine, tranche radicalement avec la nature originelle de l’œuvre. Les costumes anachroniques et les projections lumineuses amplifient ce sentiment d’intemporalité. Certains y verront une modernisation pertinente, d’autres une trahison du style ramiste.

À la baguette, Teodor Currentzis impose sa griffe immédiatement reconnaissable : tempi vifs, contrastes exacerbés, sonorités radicales. Son Orchestre Utopia, d’une précision redoutable, distille un son baroque aux accents parfois rugueux, loin des rondeurs habituellement associées à cette musique. L’énergie de l’ensemble est indéniable, mais le souci permanent de dramatisme peut donner une impression d’artificialité, voire d’acharnement expressif. Si certains passages, notamment les chœurs, s’en trouvent magnifiés, d’autres frisent l’excès, manquant de la retenue et du naturel qui font la grandeur de cette partition.

Côté chant, la distribution brille par sa qualité mais aussi par des choix artistiques clivants. Jeanne de Bique est une Télaïre d’une grande intensité dramatique, au timbre lumineux et à la diction exemplaire. Son air Tristes apprêts atteint des sommets d’émotion, bien que la volonté de surcharge expressive dictée par la direction musicale frôle parfois l’affectation. Reinoud van Mechelen, en Castor, affiche une belle musicalité et une ornementation raffinée, mais sa projection semble parfois en retrait face à l’énergie débordante de l’orchestre.

Stéphanie d’Oustrac campe une Phébé de feu, sombre et puissante, offrant une incarnation fascinante du personnage. Son timbre corsé et sa présence scénique magnétique apportent une épaisseur bienvenue à son rôle. Marc Mauillon, dans le rôle de Jupiter, impressionne par sa diction ciselée et sa maîtrise du style français. Son timbre singulier, à la fois clair et mordant, donne une autorité naturelle à son personnage, même si l’approche parfois anguleuse de Currentzis met à rude épreuve la souplesse de sa ligne vocale.

Pollux, interprété avec autorité, fait preuve d’un beau legato, mais son interprétation manque parfois de nuances. Les chœurs, impeccablement préparés, jouent un rôle moteur dans la dramaturgie voulue par Sellars, accentuant l’aspect incantatoire de cette vision de l’opéra.

Faut-il alors applaudir cette proposition ? Tout dépend du regard que l’on porte sur l’opéra baroque. Pour les amateurs de reconstitutions historiques et d’esthétique authentique, cette production risque de heurter. La mise en scène s’éloigne radicalement des codes traditionnels, tandis que la direction musicale privilégie une vision percutante parfois au détriment de la fluidité naturelle de la musique de Rameau.

Cependant, force est de constater que ce Castor et Pollux ne laisse pas indifférent. Porté par une distribution vocale de haut vol et une vision musicale ultra-personnelle, il offre un spectacle total, intense et intransigeant. Un pari osé.

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