Grigory Sokolov, piano - Purcell & Mozart

Grigory Sokolov, piano - Purcell & Mozart

Ce disque s’impose comme une démonstration magistrale de la capacité d’un grand interprète à tisser des liens entre les époques et les styles, à nous faire entendre sous un jour nouveau des œuvres pourtant familières. Un enregistrement qui ne se livre pas immédiatement, mais qui, écoute après écoute, révèle une richesse infinie.
















Deutsche Grammophon
Note : 4,5/5


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Le pianiste russe Grigory Sokolov, figure emblématique de l’interprétation pianistique contemporaine, poursuit son voyage introspectif avec Purcell & Mozart, un enregistrement live capté lors de sa tournée 2022/2023 et publié par Deutsche Grammophon. Ce double album, bien plus qu’une simple juxtaposition de deux compositeurs, révèle un fascinant dialogue entre le baroque anglais et le classicisme viennois.

Dès les premières notes, l’auditeur est confronté à un parti pris audacieux. Loin de tout purisme, Sokolov s’empare des pages de Purcell avec une liberté qui ne cherche ni l’authenticité musicologique ni une relecture romantique. Chaque note est pesée, chaque ornement ciselé avec une subtilité qui transcende la question des instruments d’époque. Le choix d’un piano moderne confère à ces œuvres une dimension harmonique et une profondeur inouïes, dévoilant leur construction avec une limpidité inhabituelle. L’interprète ne cherche pas la brillance ou l’effet, mais plutôt une articulation fluide, où le phrasé épouse la rhétorique baroque tout en la réinterprétant avec la retenue et l’intériorité qui lui sont propres.

Si certains regretteront une approche plus sobre que théâtrale, d’autres y verront un dépouillement salutaire, une quête d’essence débarrassée des artifices. Loin des excès de rubato ou des contrastes trop marqués, Sokolov éclaire ces œuvres d’une lumière tamisée, presque introspective.

Le passage à Mozart se fait avec une logique implacable, tant les liens entre les deux compositeurs sont ici sublimés. La Sonate pour piano n°13 en si bémol majeur, K. 333 se déploie avec une clarté architecturale où chaque voix est mise en valeur avec une netteté souveraine. Mais c’est surtout dans l’Adagio en si mineur, K. 540 que le pianiste atteint un sommet d’émotion et de profondeur. Là où d’autres privilégient la fluidité, Sokolov adopte un tempo suspendu, étirant les silences, sculptant chaque phrase avec une tension presque douloureuse. Ce n’est plus un simple chant élégiaque, mais une méditation intime, une exploration du tragique mozartien dans ce qu’il a de plus pur et dépouillé.

Le toucher, toujours aussi précis et nuancé, évite toute mièvrerie, tout pathos superflu. Le jeu dynamique et la gradation subtile des nuances confèrent à cette pièce une gravité rarement atteinte, transformant cette page en un moment suspendu, une confession où le temps semble s’arrêter.

L’album se clôt sur une série de rappels où le pianiste poursuit son exploration du répertoire avec la même exigence. Rameau, Chopin, Bach : ces pièces, en apparence éclectiques, trouvent ici une cohérence inattendue, révélant des parentés stylistiques insoupçonnées. Le Prélude en mi mineur, BWV 855, arrangé par Siloti, devient une épure de la mélancolie, un adieu en clair-obscur.

L’accueil critique de cet album a souligné l’exceptionnelle qualité du jeu de Sokolov, qui parvient à concilier rigueur et liberté dans une approche singulière et profondément réfléchie. Toutefois, certains pourront être rebutés par la prise de son live, qui capture aussi les bruits du public et brise parfois l’intimité de l’écoute. D’autres noteront une réserve dans la dynamique de Purcell, une lecture plus intériorisée qu’extériorisée, ce qui pourrait frustrer les amateurs d’une approche plus théâtrale.

Mais au-delà de ces considérations, ce disque s’impose comme une démonstration magistrale de la capacité d’un grand interprète à tisser des liens entre les époques et les styles, à nous faire entendre sous un jour nouveau des œuvres pourtant familières. Un enregistrement qui ne se livre pas immédiatement, mais qui, écoute après écoute, révèle une richesse infinie.

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