Tchaïkovski – Les Saisons, op. 37a - Yunchan Lim, piano

Tchaïkovski – Les Saisons, op. 37a - Yunchan Lim, piano

Avec ce disque, Yunchan Lim ne se contente pas de réussir un nouvel exploit pianistique. Il affirme une personnalité artistique singulière, charismatique, déjà maîtresse d’elle-même. En transformant ces pages modestes en joyaux expressifs, il signe l’une des plus belles relectures de Tchaïkovski au piano.















Decca
Note: 4,5/5


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Écrites en 1875–76 pour accompagner une revue moscovite, Les Saisons occupent une place singulière dans l’œuvre de Tchaïkovski. À mille lieues de la grandiloquence du Premier Concerto pour piano, composé à la même époque, ces douze miniatures semblaient destinées au salon plutôt qu’à la salle de concert. Leur charme discret, leur mélancolie diffuse et leur poésie en demi-teinte les ont souvent confinées à un rôle de pièces d’agrément. Mais Yunchan Lim, plus jeune lauréat du Concours Van Cliburn en 2022, choisit d’y voir bien davantage : une allégorie du passage de la vie, où chaque mois figure une étape intérieure, de l’élan initial à l’apaisement final.

L’enregistrement réalisé à l’été 2024 au Menuhin Hall révèle un piano d’une grande précision de relief, subtilement capté malgré une acoustique qui n’élargit pas toujours les résonances. L’image sonore, volontairement resserrée, met en valeur la clarté des attaques et la rondeur des timbres, soulignant la richesse des couleurs que Lim tire de son instrument. Le pédalage, d’une économie souveraine, maintient la transparence des textures sans jamais céder à la sécheresse.

Dès la première pièce, Au coin du feu, la conception de Lim s’affirme : refusant toute langueur, il installe un tempo vif mais souple, animé par un rubato respirant et naturel. La simplicité de sentiment exigée par le compositeur se marie ici à une variété de toucher confondante, qui renouvelle chaque phrase. Dans Le Chant de l’alouette, l’épure du legato se mue en un chant cristallin d’une pureté saisissante. Carnaval se déploie avec une énergie espiègle, où chaque ligne de la polyphonie trouve sa place sans jamais sacrifier la lisibilité. Dans Les Nuits de mai, Lim se fait plus intérieur, modelant un lyrisme quasi vocal, tandis que la célèbre Barcarolle échappe à la sentimentalité pour s’élever vers une noblesse tendre et équilibrée.

À mesure que le cycle avance, la gravité s’impose. Le Chant du faucheur pèse de toute sa densité sonore, contrastant avec la vivacité de La Moisson. Troïka, de décembre, virevolte dans une fantaisie étincelante, mais c’est dans Chant d’automne que l’interprète touche au sommet de son art : une page bouleversante, sculptée dans la douleur, qui révèle la profondeur expressive d’un pianiste de vingt ans à peine. Le cycle s’achève sur la valse de Noël, que Lim aborde avec une élégance d’orfèvre, douce et scintillante, comme un ultime sourire avant le silence.

Il est certain qu’une telle lecture ne fera pas l’unanimité. Les amateurs de fraîcheur naïve ou de spontanéité légère trouveront sans doute que Lim dramatise à l’excès des pièces que Tchaïkovski n’avait pas conçues comme une confession romantique. Mais ce choix, assumé de bout en bout, transforme la succession de miniatures en une fresque d’une étonnante cohérence dramaturgique. Là où d’autres privilégient la grâce décorative, Lim impose une gravité, une ferveur et un engagement qui confèrent aux Saisons la stature d’un véritable cycle poétique.

La comparaison avec d’autres interprètes s’impose d’elle-même. Plus naturel que Lang Lang, plus raffiné que Masleev, plus dense que Bruce Liu, Lim trouve un équilibre rare entre intensité dramatique et maîtrise technique. Sa lecture, tout en reconnaissant l’héritage de Pletnev, s’impose comme une nouvelle référence : ni imitation, ni provocation, mais la preuve éclatante qu’un pianiste peut, à vingt ans, renouveler l’écoute d’une œuvre trop souvent sous-estimée.

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