J. S. Bach : Les Partitas - Céline Frisch, clavecin

J. S. Bach : Les Partitas - Céline Frisch, clavecin

Un cycle à la fois sommet et rite de passage.















Alpha Classics ALPHA1138
Note: 4/5


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Chez Bach, les Partitas ne sont pas seulement des suites destinées au clavecin : elles représentent l’aboutissement d’une écriture qui condense à la fois l’art de la danse, la science du contrepoint et une dramaturgie intérieure d’une rare complexité. Leur publication en 1731 comme premier volume du Clavier-Übung en faisait déjà un manifeste. Pour tout claveciniste, s’y mesurer est un passage obligé, une confrontation avec un recueil qui conjugue diversité stylistique et exigence formelle. Céline Frisch, forte d’une discographie bachienne déjà saluée, relève ce défi avec une approche que l’on peut qualifier de méditée et architecturée, héritière d’une esthétique sobre mais profondément investie.

Partita n°1 en si bémol majeur, BWV 825

Dès l’Allemande initiale, Frisch affirme un ton plus contemplatif que démonstratif. Le phrasé est souple, la polyphonie d’une parfaite lisibilité, mais la retenue expressive confère à cette page une élégance presque distante. La Corrente, plus animée, reste contrôlée, avec des trépidations qui évitent la brillance superficielle. Les deux Menuets, en revanche, manquent de cette grâce souriante qui les rend irrésistibles chez d’autres interprètes ; la claveciniste conserve une gravité qui paraît légèrement en décalage avec leur caractère. La Gigue finale retrouve davantage d’élan et offre une conclusion solide, sans toutefois céder à la virtuosité éclatante.

Partita n°2 en do mineur, BWV 826

La Sinfonia introductive frappe par la noblesse du discours, ample et mesuré. Le Grave adagio respire avec une tension retenue, avant qu’un Allegro d’une grande clarté ne s’impose avec vigueur. La Sarabande se distingue par une intensité dramatique sombre, l’une des réussites majeures de l’album, tandis que le Rondeau met en valeur une fluidité du discours remarquable. Le Capriccio conclusif est sobre, presque ascétique, refusant tout clinquant. Certains y verront une élégance rare, d’autres un manque de fantaisie, mais la cohérence stylistique est indéniable.

Partita n°3 en la mineur, BWV 827

Cette Partita se déploie comme une mosaïque d’affects. La Fantasia, légère et scintillante, séduit par sa précision articulatoire. L’Allemande porte une nostalgie discrète, que Frisch rend avec retenue et pudeur. La Corrente gagne en intensité rythmique, un peu fébrile, contrastant avec la délicatesse du Sarabande, qui frôle parfois l’intimité d’un Couperin. La Burlesca, sérieuse, et le Scherzo pince-sans-rire sont exécutés avec une justesse de ton qui n’exclut pas un brin d’humour. La Gigue, énergique, conclut la suite avec éclat sans brutalité, comme un sourire contenu.

Partita n°4 en ré majeur, BWV 828

La vaste Allemande d’ouverture, qui s’étend sur plus de dix minutes, est sans doute la page la plus discutée de cette intégrale. Frisch y déploie une architecture admirable, laissant respirer chaque motif, mais certains auditeurs regretteront un manque de souplesse et de flux naturel. Le Courante et l’Aria démontrent une élégance plus affirmée, avec un sens du dialogue entre les voix. La Sarabande conserve sa dignité grave, avant que le Menuet et la Gigue ne viennent restaurer une vitalité plus franche. L’équilibre global reste impressionnant, mais cette Partita illustre les limites de l’option méditative choisie par l’interprète.

Partita n°5 en sol majeur, BWV 829

Ici, Céline Frisch rayonne davantage. L’Allemande s’ouvre avec un lyrisme lumineux, bien que certains auraient souhaité davantage de souplesse et de chaleur. La Corrente virevolte avec un esprit dansant réjouissant, et le Tempo di Minuetto garde une légèreté élégante. Le Passepied pétille d’énergie, contrastant avec une Sarabande d’une grande délicatesse, regardant vers le raffinement français. La Gigue finale, vive et rythmée, témoigne d’une maîtrise technique au service d’un discours toujours mesuré.

Partita n°6 en mi mineur, BWV 830

C’est sans doute dans cette suite que l’inspiration de Frisch atteint son sommet. L’ouverture s’impose par sa gravité et sa densité. La Courante syncopée est l’un des grands moments de l’enregistrement : le jeu rythmique est tendu, le contrôle absolu, l’anticipation permanente. La Sarabande plonge dans une étrangeté fascinante, que l’interprète accentue avec une intensité presque douloureuse. La Gavotte et la Bourrée apportent un contraste de vivacité, avant que la Gigue finale, plus retenue que chez d’autres clavecinistes, ne referme la suite sur une gravité presque sévère. Certains la trouveront austère, d’autres y verront une conclusion cohérente à ce voyage à travers les six Partitas.

L’usage d’un clavecin Restelli d’après Christian Vater donne à l’ensemble une couleur riche, aux attaques rondes mais franches. Cette sonorité enveloppante renforce la continuité du discours, mais la réverbération généreuse de la prise de son accentue parfois un caractère trop massif. L’auditeur se trouve devant une esthétique assumée : une quête d’unité, une architecture pensée dans la durée, une profondeur plus qu’une virtuosité éclatante.

Avec cette intégrale des Partitas, Céline Frisch confirme sa place parmi les clavecinistes les plus importants de notre époque. Son approche privilégie la sobriété, la clarté et la continuité, au risque parfois de sacrifier charme ou spontanéité. Mais ses réussites, notamment dans les moments de densité dramatique ou de tension rythmique, placent cette lecture parmi les plus attachantes parues récemment. Il ne s’agit pas d’une version définitive ni d’un geste flamboyant, mais d’une interprétation habitée, réfléchie et profondément respectueuse de l’esprit des Partitas.

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