Giuseppe Verdi - Otello - Teatro Real de Madrid - David Alden - Nicola Luisotti

Giuseppe Verdi - Otello - Teatro Real de Madrid - David Alden - Nicola Luisotti

Un Otello rigoureux et respectueux de la partition, musicalement captivant, mais dont l’impact dramatique reste limité par une distribution principale encore perfectible. Les mélomanes attentifs apprécieront la clarté orchestrale, la continuité musicale et la maîtrise technique des solistes secondaires, tout en constatant que le drame humain, cœur de l’œuvre, n’est pas pleinement atteint.










Teatro Real Madrid - Septembre 2025
Note: 3,5/5



Acte I – La tempête et l’arrivée à Chypre

L’ouverture orchestrale impose immédiatement l’élément naturel comme acteur du drame : le roulis des cordes graves et la percussion ponctuant la tempête créent une atmosphère de chaos contrôlé. Luisotti choisit un tempo vif, sans précipitation, permettant aux détails orchestraux d’émerger, notamment dans les vents qui dessinent les rafales de vent et les éclairs. Le chœur, d’abord légèrement déséquilibré, s’affirme dans la puissance et l’ampleur, donnant corps à la menace du contexte militaire et naturel.

L’entrée d’Otello, chanté par Brian Jagde, frappe par l’intensité brute mais révèle des limites dans les médiums et les graves. Son « Esultate! » impose la stature héroïque, mais le manque de chaleur dans les passages intermédiaires empêche de pleinement percevoir la complexité humaine du personnage. Sur le plan scénique, l’utilisation statique des trois murs gris et le peu de mobilité des personnages donnent un sentiment de confinement qui renforce la tension, mais la répétition visuelle risque de fatiguer.

Desdémona, incarnée par Asmik Grigorian, apparaît avec un timbre pur et homogène, mais la douceur de son legato ne traduit pas encore toute l’angoisse du personnage face à la violence latente d’Otello. Le duo d’amour du premier acte gagne en clarté grâce à l’équilibre orchestrale, mais la subtile tension dramatique pourrait être plus marquée par une modulation plus expressive des phrasés vocaux.

Acte II – La manipulation et le double jeu

L’acte II est un moment clef pour l’exposition du conflit intérieur et de la manipulation. La direction de Luisotti adopte ici un tempo légèrement plus retenu, soulignant les accents psychologiques et la manipulation subtile de Iago. Gabriele Viviani, en Iago, souffre d’un manque de nuances dramatiques : sa voix reste monotone et ne fait pas ressentir la duplicité sophistiquée du personnage. Le duo Otello–Iago « Dio vendicator » manque de tension psychologique, même si la puissance vocale de Jagde reste présente dans les aigus.

Cassio et Desdémona offrent des interventions contrastées. Hernández se distingue par un phrasé élégant, mais la légèreté de son timbre limite l’impact dramatique. Shkoza apporte son timbre chaleureux dans le concertante, particulièrement lors du dialogue avec Emilia, donnant densité et relief au rôle secondaire. La chorégraphie du chœur, répétitive et un peu mécanique, laisse transparaître la tension collective, mais manque parfois de fluidité et de naturel.

Acte III – Confrontations et révélations

L’acte III marque l’apogée des tensions psychologiques. Luisotti ralentit légèrement certains passages orchestraux, permettant aux lignes vocales de respirer et aux dissonances harmoniques de créer le malaise. Jagde commence à mieux exploiter son registre aigu pour exprimer la jalousie et l’inquiétude, mais les zones médium et grave restent peu nuancées. Son interprétation du monologue « Dio! mi potevi scagliar… » manque d’intensité introspective, donnant une impression d’effort plutôt que de plongée dramatique.

Grigorian brille dans la « Chanson du saule », son legato précis et son timbre pur traduisant la fragilité de Desdémona. L’orchestre, dans les accompagnements, reste attentif au contour mélodique de la soprano, soulignant chaque inflexion émotionnelle. Viviani reste un Iago monocorde, et son influence sur Otello paraît limitée, réduisant la force tragique de la manipulation. Le concertante final de l’acte, pourtant riche en possibilités dramatiques, est atténué par cette absence de relief vocal et scénique.

Acte IV – Dénouement et tragédie

L’acte final est placé sous le signe de la confrontation dramatique et de la violence contenue. La tension orchestrale est ici maximale : les cordes et la percussion créent un climat oppressant, tandis que les vents introduisent des accents de tragédie imminente. Jagde, malgré son engagement sincère, peine à exprimer l’ampleur émotionnelle de l’effondrement d’Otello. Ses aigus restent convaincants, mais le manque de variété dans le phrasé et l’absence de projection dans le grave limitent la dimension tragique.

Grigorian atteint son apogée dramatique et vocal dans la « Ave Maria » et la dernière scène de Desdémona. Sa voix est homogène et précise, son émission contrôlée, offrant un point d’ancrage émotionnel solide. Le chœur, parfaitement soudé, apporte puissance et tension, renforçant le drame final. Les passages orchestraux sont détaillés et lisibles, avec une dynamique subtile qui soutient la progression tragique sans jamais alourdir le flux musical.

Otello au Teatro Real offre un spectacle musicalement solide mais limité dans l’impact dramatique. La direction de Luisotti et l’orchestre sont impeccables, le chœur brille et les solistes secondaires apportent leur densité vocale et scénique.

Cependant, le couple Otello–Iago manque de relief : Jagde ne parvient pas à exprimer toute la complexité psychologique et dramatique du rôle, et Viviani ne parvient pas à nuancer son Iago. Grigorian est la grande réussite vocale de la distribution, alliant technique, précision et engagement scénique. La mise en scène, sobre et minimaliste, est efficace mais parfois trop statique pour soutenir pleinement le drame.

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