Georg Friedrich Haendel - Ariodante - Opéra de Paris - Robert Carsen - Raphaël Pichon

Georg Friedrich Haendel - Ariodante - Opéra de Paris - Robert Carsen - Raphaël Pichon

La magie d’une reprise triomphale.











Opéra de Paris
Septembre 2025
Note: 4,5/5



Après deux reports dus à un mouvement social, la reprise d’Ariodante au Palais Garnier a enfin pu révéler toute l’ampleur de cette production, déjà créée en 2023. La mise en scène de Robert Carsen, fidèle à sa ligne esthétique, transpose le drame haendelien dans la monarchie britannique contemporaine, au cœur de Balmoral. Loin de se contenter d’une simple illustration, l’univers scénique fait dialoguer avec subtilité le vert omniprésent des murs et tapis avec les motifs tartan, les kilts et accessoires évoquant à la fois tradition écossaise et modernité royale. Les transitions entre les différentes pièces du château – chambre, salle de bal, bibliothèque – s’opèrent avec fluidité, offrant au spectateur une lecture claire du drame tout en conservant une tension narrative constante. La symbolique est omniprésente : la chasse, activité emblématique de la Cour, se transforme en métaphore de la traque des personnages par Polinesso et par les paparazzi, tandis que les cerfs, vivants puis empaillés, rappellent la fatalité et la fragilité humaine. La scénographie, subtilement chorégraphiée, parvient à instaurer une continuité dramatique tout en conservant la poésie et le mystère propres au baroque.

Dans la fosse, Raphaël Pichon fait des débuts éblouissants à l’Opéra de Paris. Dès l’ouverture à la française, l’énergie est palpable, et l’on ressent un souffle dramatique constant. L’interprétation qu’il propose conjugue rigueur du belcanto et imagination musicale : chaque da capo est conduit avec un sens aigu de la ligne musicale, des respirations parfaitement maîtrisées et une attention scrupuleuse à la clarté du texte et à la couleur instrumentale. L’Ensemble Pygmalion, fort d’une quarantaine de musiciens, offre un son dense et charnu, mêlant délicatesse et puissance. Les traversos apportent une touche de mélancolie raffinée, le continuo vibre avec inventivité, et la viole de gambe colore certains récitatifs accompagnés d’un souffle dramatique rare. Les contrastes dynamiques et la précision des phrasés font de cette interprétation un modèle de musicalité baroque, où l’expressivité ne sacrifie jamais la cohérence de la partition.

La distribution vocale est d’une homogénéité remarquable. Cecilia Molinari s’empare du rôle-titre avec assurance et un timbre d’une rondeur enveloppante. Son « Scherza infida » et le furieux « Dopo notte » révèlent une maîtrise des vocalises étincelantes, et bien que certains moments dramatiques restent esquissés, elle restitue admirablement la profondeur émotionnelle d’Ariodante. Jacquelyn Stucker, en Ginevra, déploie une voix d’une grande clarté et d’une sensibilité palpable, mais sa projection médium et ses accents dramatiques parfois contenus limitent légèrement l’impact de certains passages de désespoir ou d’incrédulité. Christophe Dumaux, en Polinesso, impose une présence scénique et vocale intense : voix souple et acérée, da capo finement ciselés, gestuelle incisive, il incarne la duplicité et la perfidie avec un mélange de charisme et de férocité. Sabine Devieilhe, en Dalinda, offre une ligne vocale aérienne, tout en agilité et finesse, capable de passer des passages délicats aux contre-fa virtuoses avec une fluidité et une musicalité extraordinaires. Ru Charlesworth, en Lurcanio, propose un timbre chaleureux et un phrasé élégant, tandis que Luca Tittoto, en roi d’Écosse, impose par sa présence et sa diction noble une autorité naturelle, complétée par Enrico Casari, solide en Odoardo. Les Chœurs de l’Opéra, préparés avec soin, contribuent à une Cour royale crédible et majestueuse, offrant une couleur et une homogénéité qui subliment la scénographie.

La direction scénique de Carsen demeure d’une clarté et d’une élégance remarquables. La juxtaposition du contemporain et de l’intemporel – paparazzi, presse à scandale, statues de cire – confère une résonance moderne aux intrigues de cour, et les choix symboliques comme le duel final, les cerfs empaillés et les transformations du château en musée renforcent la dramaturgie avec humour et acuité. Les éclairages, précis et expressifs, accentuent la tension et la psychologie des personnages, rendant chaque scène lisible et vivante. Le fil rouge de la traque et de la métaphore de la chasse traverse la totalité de l’œuvre, offrant une lecture cohérente et profondément originale, sans jamais nuire à la musique.

En synthèse, cette reprise d’Ariodante réussit le pari de lier modernité et tradition avec un équilibre remarquable. La mise en scène de Carsen, la direction de Pichon et la qualité exceptionnelle de la distribution rendent justice à Haendel et à la puissance dramatique de sa partition. Si quelques voix, comme celle de Ginevra, laissent percevoir de légères limites expressives, l’ensemble de la production brille par sa cohérence, sa tension dramatique et sa virtuosité musicale.

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