Dmitri Chostakovitch - Quatuors à cordes n° 6 à 12 - Cuarteto Casals
Dmitri Chostakovitch - Quatuors à cordes n° 6 à 12 - Cuarteto Casals
Une étape solide et cohérente dans l’intégrale du Cuarteto Casals. Clarté, transparence et équilibre dominent, parfois au prix de l’urgence et du danger. Les amateurs de lectures plus extrêmes trouveront ici une relative « sécurité », mais les auditeurs sensibles à l’intelligence du détail, à la fluidité du discours et à l’élégance sonore seront comblés.
Harmonia Mundi - HMM902733.34
Note: 4/5
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Après un premier volume très remarqué, le Cuarteto Casals poursuit son intégrale des quatuors de Chostakovitch avec les n° 6 à 12, écrits entre 1956 et 1968. Cette période médiane condense toute l’ambivalence du compositeur : nostalgie et ironie, lyrisme fragile et violence rentrée, autobiographie douloureuse et exploration formelle. Chaque ensemble s’y confronte tôt ou tard à la question essentielle : faut-il souligner la terreur et l’angoisse, ou privilégier la clarté et l’équilibre ?
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Après un premier volume très remarqué, le Cuarteto Casals poursuit son intégrale des quatuors de Chostakovitch avec les n° 6 à 12, écrits entre 1956 et 1968. Cette période médiane condense toute l’ambivalence du compositeur : nostalgie et ironie, lyrisme fragile et violence rentrée, autobiographie douloureuse et exploration formelle. Chaque ensemble s’y confronte tôt ou tard à la question essentielle : faut-il souligner la terreur et l’angoisse, ou privilégier la clarté et l’équilibre ?
Fidèles à l’esthétique déjà défendue dans le premier volume, les Casals choisissent la transparence contrapuntique et la précision rythmique. Attaques nettes, vibrato parcimonieux, équilibre entre pupitres : l’ensemble espagnol mise sur l’intelligibilité du discours plutôt que sur l’excès expressionniste.
Dans le Quatuor n° 6, souvent mésestimé, la légèreté et l’élégance dominent. Le jeu de textures y est admirable, et l’interaction entre les instruments fluide. Les ombres affleurent mais ne prennent jamais le dessus : l’approche refuse toute noirceur trop appuyée. Pour certains, cette retenue laisse échapper le sous-texte politique et l’angoisse diffuse qui irriguent l’œuvre. La passacaille du troisième mouvement émeut, mais sans atteindre une profondeur tragique comparable aux lectures les plus habitées.
Le n° 7 gagne en concentration et sobriété, et le n° 8 — pièce-autoportrait, saturée de citations (DSCH, Trio n° 2, Lady Macbeth de Mtsensk) — est rendu avec une sobriété lucide. La violence des coups martelés, échos des arrestations par le KGB, est présente, mais sans la crudité extrême que d’autres ensembles (Borodine, Danel, Jerusalem) n’hésitent pas à embrasser. On admire la construction, la logique et l’équilibre, mais certains regretteront l’absence de ce vertige psychologique, ce sentiment d’être au bord du gouffre, qui fait de ce quatuor une expérience limite.
Les n° 9 à 12 révèlent toute l’ambiguïté de l’approche des Casals. Dans le n° 9, l’enchaînement continu des cinq mouvements est parfaitement maîtrisé, mais la poussée dramatique reste plus contrôlée que transcendée. Le n° 10 séduit par son Allegretto ironique et une passacaille finale d’une grande tenue, mais le furioso du deuxième mouvement ne dégage pas la sauvagerie attendue : plus vif que mordant. Le n° 11, en sept miniatures, est superbement tenu, et ici l’ensemble touche davantage à l’âpreté et à la brutalité que réclame la partition — sans toutefois les pousser jusqu’au paroxysme. Le n° 12, avec son second mouvement redoutable, est mené avec mordant et passion, mais le sentiment de terreur, de lutte existentielle, demeure atténué. La tension est là, mais canalisée : un « voyage sûr », pour reprendre l’expression de certains critiques, plutôt qu’une traversée aux confins de la désespérance.
La captation Harmonia Mundi est exemplaire de proximité et de netteté. Chaque archet, chaque respiration est audible, avec une spatialisation équilibrée. Les pizzicati et les textures ténues sont magnifiquement rendus. En revanche, les moments de saturation dramatique semblent parfois bridés par cette esthétique claire et polie, au détriment d’une intensité brute.
Là où les Borodine imposaient un souffle tragique quasi définitif, où les Danels osent la rugosité et la mise en danger, où les Jérusalem injectent une incandescence parfois insoutenable, le Cuarteto Casals adopte une voie médiane : rigueur, lisibilité, élégance. Cette approche, saluée pour sa finesse, est aussi critiquée pour son manque de « mise en jeu totale », pour l’absence d’un véritable sentiment de menace existentielle.
En revanche, l’ensemble espagnol apporte une lecture d’une cohérence irréprochable, unifiée, analytique et profondément réfléchie. Pour certains mélomanes, c’est une respiration bienvenue : Shostakovitch vu moins comme un cri de douleur que comme un tissu contrapuntique d’une richesse inépuisable.
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