Berliner Philharmoniker - François-Xavier Roth - Musikfest Berlin, 12 septembre 2025

Berliner Philharmoniker - François-Xavier Roth - Musikfest Berlin, 12 septembre 2025

Un concert qui ne cherche pas à plaire, mais à marquer – parfois au prix de l’émotion.









Pierre Boulez, Ondřej Adámek, Igor Stravinsky
Musikfest Berlin, 12 septembre 2025
Note : 4/5



Un programme sans compromis : célébrer Boulez, révéler un jeune créateur, et couronner la soirée par l’inépuisable Sacre du printemps. À la tête des Berliner Philharmoniker, François-Xavier Roth a choisi de tracer une ligne dramatique abrupte, au risque d’ébranler autant qu’il séduit.

Le centenaire de Pierre Boulez imposait l’ouverture : Rituel in memoriam Bruno Maderna. L’espace de la Philharmonie fut découpé en huit groupes instrumentaux, le chef figurant presque en grand prêtre au centre de cette cérémonie sonore. Gongs, silences, échos décalés formaient une architecture méditative.
Pour certains, la densité rituelle, renforcée par l’obscurité, conférait au moment une aura funéraire saisissante ; pour d’autres, l’exécution restait froide, trop conceptuelle, incapable de dépasser la dimension abstraite de la partition. Là où certains y virent une « séance de recueillement » à l’intensité spectrale, d’autres parlèrent d’une austérité stérile. Un hommage respectueux, mais qui ne toucha pas au cœur de tout le public.

La création de Between Five Columns d’Ondřej Adámek apporta la première secousse vitale de la soirée. En moins de dix minutes, deux motifs dérivés de Boulez se transformaient en une explosion orchestrale : crescendi haletants, glissandi spectaculaires, couleurs en perpétuelle mutation.

Là où Boulez avait semblé figé, Adámek insufflait mouvement et immédiateté. La pièce, concise et virtuose, fut unanimement saluée : un geste d’orchestre précis, jubilatoire, parfaitement taillé pour captiver même les oreilles les plus aguerries.

C’est toutefois dans Le Sacre du printemps que se joua la véritable bataille des interprétations. Roth, refusant toute séduction sonore, privilégia une lecture sèche, anguleuse, d’une précision chirurgicale. Les Berliner Philharmoniker, héritiers d’une tradition rituelle autour de cette œuvre depuis l’ère Rattle, se muèrent en instrument collectif d’une efficacité redoutable.

Le solo de basson initial, porté par Stefan Schweigert, s’étira comme une plainte suspendue, fragile et humaine. Mais très vite, cette voix s’éteignit, happée par la mécanique implacable. L’orchestre devint machine, inexorable, avançant comme un rouleau compresseur sonore.

Cette radicalité divisa. Certains louèrent la fidélité au caractère scandaleux de la création de 1913 : brutalité, sécheresse, rugosité des timbres, effacement du lyrisme. L’effet fut de restituer le Sacre comme une expérience d’aliénation collective, où le sacrifice païen s’élargissait en allégorie contemporaine : guerre, destruction, anéantissement. D’autres regrettèrent que cette vision, déshumanisée, prive l’œuvre de sa sensualité rythmique et de son pouvoir charnel. Là où l’orchestre montra une virtuosité insolente – tempo effrénés, superpositions rythmiques impeccables – certains critiques n’y virent qu’un exercice de puissance, impressionnant mais peu habité.

Ce concert marquait aussi le retour de Roth sur une grande scène internationale, après une année d’ombre et de controverses. Pour certains, sa présence incarnait une tentative de réintégration prudente dans le paysage musical ; pour d’autres, seule la musique comptait. Sur scène, il apparut concentré, déterminé à imposer une lecture cohérente, quitte à cliver.

Un triptyque pensé comme une trajectoire : du recueillement de Boulez à l’énergie d’Adámek, jusqu’à l’apocalypse tellurique de Stravinsky. Le public berlinois, habitué aux Sacres flamboyants, se retrouva face à une vision volontairement abrupte, polarisante. Rarement les divergences critiques furent aussi marquées : austérité glaciale pour certains, geste nécessaire et bouleversant pour d’autres. Mais tous s’accordèrent sur un point : impossible de rester indifférent à une telle démonstration orchestrale.

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