Yoann Moulin – Ein Klavierbüchlein - Œuvres de Bach, Böhm, Bruhns, Buxtehude, Reincken, Petzold

Yoann Moulin – Ein Klavierbüchlein - Œuvres de Bach, Böhm, Bruhns, Buxtehude, Reincken, Petzold

Un album à écouter d’une traite, en laissant le silence s’installer après la dernière note.















Ricercar RIC475
Note: 4,6/5


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Avec Ein Klavierbüchlein, Yoann Moulin parachève un triptyque consacré à la musique germanique pour clavier du XVIIe siècle. Après les univers stylisés (Stylus Phantasticus) et chantés (Ein Liederbüchlein), il livre ici un recueil qui tient tout à la fois du cabinet de curiosités, du traité pédagogique imaginaire et du journal intime de la formation d’un jeune Bach. Le projet se construit comme une archéologie sonore, une exploration de ce que le compositeur a pu lire, copier, assimiler au contact des maîtres du Nord – Reincken, Buxtehude, Böhm – ou simplement découvrir à travers les circulations manuscrites.

Mais ce Klavierbüchlein n’est pas une anthologie neutre ou muséale. Il prend parti. Il rejoue les filiations en restituant à chaque compositeur sa langue propre et son espace sonore, tout en tissant de l’un à l’autre un fil narratif cohérent. Le disque avance par strates – des œuvres massives, hautement rhétoriques, jusqu’aux miniatures dansantes et réflexives – créant un dialogue organique entre les œuvres pour orgue, les pièces stylisées pour clavecin et les expérimentations du stylus phantasticus.

Instrument de choix pour ce voyage : un clavecin à deux claviers avec pédalier construit par Philippe Humeau, capté dans l’acoustique naturelle et vivante de l’église de Centeilles. Ce choix n’est pas anodin : il permet d’explorer la continuité entre orgue et clavecin dans la tradition nord-allemande. L’équilibre acoustique, finement dosé, restitue une profondeur sans sécheresse et des aigus d’une rare transparence.

Ce type de clavecin, doté d’un pédalier actif, autorise une polyphonie plus étagée, et donne aux œuvres d’orgue – telles que le vaste Prélude et fugue en mi mineur de Bruhns ou la Toccata BuxWV 157 de Buxtehude – une matérialité nouvelle, plus tactile, moins monumentale que sur orgue, mais plus charnelle. C’est dans ce glissement d’échelle, du grand au personnel, que le jeu de Moulin atteint sa pleine richesse.

Dans les œuvres à panache rhétorique – fugues, préludes et toccatas –, Yoann Moulin fait valoir une articulation souple et fluide, jamais démonstrative, mais toujours animée par le sens de la phrase. Le jeu, solidement construit, évite la tentation de l’effet et privilégie le relief structurel : les séquences s’imbriquent, les ornements respirent, les silences deviennent actifs. Ce n’est pas la virtuosité pour elle-même qui prime, mais l’architecture intérieure du discours musical.

Dans les pages plus dansantes (Suites de Böhm ou Petzold), l’interprétation privilégie la caractérisation fine : une Allemande rêveuse et soutenue d’un seul souffle, une Courante heurtée mais fluide, une Gigue terrestre, presque rustique, toujours pleine d’élan sans jamais devenir martiale. Les danses de Bach (BWV 996), souvent prises avec une rigueur métronomique par d’autres, gagnent ici une plasticité nouvelle, comme si elles étaient remises en mouvement sous des doigts qui n’ont pas oublié qu’elles furent pensées pour le luth.

Dans l’ensemble, le jeu de Moulin conjugue trois qualités rares : la densité du timbre, la liberté rythmique maîtrisée et le sens du contraste – tous trois constitutifs de l’esprit du stylus phantasticus mais aussi, plus profondément, de cette tradition baroque nordique où la musique est pensée comme un art du discours et de l’affect.

Le parcours proposé n’a rien d’un catalogue. On sent une réelle volonté de narration : le programme, rigoureusement pensé, alterne masses sonores et respirations, moments de tension et de relâchement. Il ménage un équilibre entre l’exubérance rhétorique des grandes formes libres (Bruhns, Buxtehude), la ferveur contrapuntique (Reincken) et l’intimisme des danses stylisées (Böhm, Petzold, Bach).

Dans ce contexte, même les pièces les plus connues prennent un autre sens. La suite BWV 996 de Bach, par exemple, n’est pas donnée comme sommet mais comme point d’aboutissement sensible du chemin parcouru. On y entend autant l’élève que le maître, autant les réminiscences que les anticipations. Moulin y insuffle une délicatesse rare, une pensée chorégraphique sans raideur, avec une Sarabande suspendue et une Gigue qui semble émerger naturellement de tout ce qui précède.

Ce disque ne s’adresse pas à ceux qui cherchent des "tubes baroques" brillamment exposés. Il est fait pour ceux qui aiment comprendre la musique de l’intérieur, qui aiment écouter avec la partition mentale ouverte, et surtout, pour ceux qui goûtent l’équilibre fragile entre rigueur historique, fantaisie poétique et tact expressif.

Les clavecinistes les plus aguerris y trouveront des idées de registration et des respirations nouvelles. Les amateurs d’orgue apprécieront la transposition organologique subtile. Et les fidèles de Bach y entendront un jeune homme en devenir, encore perméable à ses maîtres, mais déjà habité par une force qui transcende ses influences.

En mariant érudition, audace instrumentale et sens narratif, Ein Klavierbüchlein s’impose comme l’un des récitals pour clavecin les plus inspirés de ces dernières années. Yoann Moulin ne cherche ni à briller, ni à convaincre, mais à donner voix à un monde sonore cohérent, libre et habité. Il y parvient avec une maîtrise et une sensibilité rares.

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