Smetana - Quatuors à cordes n°1 & 2 - Zemlinsky Quartet

Smetana - Quatuors à cordes n°1 & 2 - Zemlinsky Quartet

Le Zemlinsky Quartet livre une lecture intensément dramatique et culturellement enracinée des deux quatuors de Smetana. Leur engagement émotionnel, leur précision rythmique et leur compréhension idiomatique dépassent bien des versions internationales plus policées. Ce disque n’est pas seulement une réussite artistique : c’est une proposition esthétique forte, qui s’impose désormais comme une référence moderne du répertoire.















Evil Penguin Classics EPRC0069
Note: 4,4/5


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La musique de chambre de Smetana est peu abondante mais profondément personnelle, et nulle part cela n’est plus manifeste que dans ses deux quatuors à cordes. Écrits tardivement, à un moment où la surdité s’impose tragiquement dans sa vie, ils forment un diptyque à la fois introspectif et lyrique, à forte charge autobiographique. S’ils ont tardé à s’imposer dans le répertoire, ces deux ouvrages, denses, torturés, parfois fragmentaires, sont devenus des pierres angulaires du quatuor tchèque.

Dans ce nouvel enregistrement, le Zemlinsky Quartet, fondé à Prague en 1994 et particulièrement versé dans la tradition centre-européenne, livre une lecture à la fois idiomatique, viscérale et dramatiquement investie. Loin des polissages internationaux, leur approche met l’accent sur la franchise du geste, l’âpreté de la matière et la sincérité du propos.

Conçu comme une confession musicale, ce premier quatuor est l’œuvre d’un homme qui se retourne sur ses souvenirs à l’ombre de la surdité qui le frappe. Le célèbre cri d’alto qui interrompt l’Allegro initial n’est pas un effet : c’est un aveu. Cette implosion sonore, le Zemlinsky Quartet ne cherche pas à l’atténuer. L’altiste en fait un véritable point de rupture, cri intérieur autant que pivot dramatique.

La lecture est constamment tendue, presque nerveuse, sans jamais tomber dans l’affectation. Le jeu collectif est exceptionnellement soudé : les attaques sont franches, les phrasés homogènes, la dynamique toujours guidée par la tension du discours plus que par l’élégance du galbe. Les violons, légèrement en retrait dans la balance, évitent toute préciosité et privilégient un timbre acide et droit, qui donne du corps au propos. Le violoncelle, en revanche, bénéficie d’un relief très marqué, ce qui renforce le socle organique de l’ensemble, au prix cependant d’un déséquilibre parfois perceptible.

L’Allegro alla Polka est un modèle d'équilibre entre vivacité rythmique et décontraction élégante : jamais anecdotique, toujours structuré. Le Largo central, douloureux et suspendu, est sculpté dans un vibrato serré, presque tendu jusqu’à la déchirure. Le Vivace final, traversé de motifs populaires, est joué avec une verve brute, où l’ivresse se fait contagieuse.

Le second quatuor est une œuvre à part. Fragmenté, déroutant, sans véritable centre de gravité, il semble désarticulé de l’intérieur, comme si le compositeur y livrait les ruines de sa pensée musicale. L’écriture, plus sèche, plus énigmatique, exige une tension constante et une prise de risques affirmée. C’est exactement le parti pris du Zemlinsky Quartet.

Dès l’ouverture, les silences, les dissonances et les brisures de rythme sont intégrés comme éléments expressifs à part entière. Là où certains ensembles tentent de lisser les arêtes pour en tirer une forme de continuité post-romantique, les Zemlinsky en soulignent la dislocation expressive. Le résultat est une lecture dérangeante, sans concession, mais d’une force évocatrice rare.

Le deuxième mouvement, un Allegro évoquant par bribes une danse déformée, conserve une rythmique instable, volontairement décentrée, où les contrastes de dynamique sont poussés à l’extrême. Le bref trio central évoque un souvenir mélodique effacé. Le troisième mouvement, en forme de méditation décalée, dévoile un lyrisme brisé, traité sans pathos mais avec une densité émotionnelle impressionnante. Le finale, d’un modernisme étonnant pour l’époque, est abordé comme un exutoire halluciné, sorte de cri final étranglé.

En bis, les musiciens proposent un arrangement du célèbre interlude de La Fiancée vendue, écrit par leur altiste. C’est un clin d’œil vif, populaire, brillamment exécuté, qui tranche avec la gravité des quatuors. Ce bonus, purement jubilatoire, montre une autre facette du quatuor : virtuose, souple, pleine de verve folklorique. En somme, l’incarnation d’un esprit national tchéco-morave sans jamais tomber dans l’ethnographie de salon.

L’enregistrement réalisé au Müpa de Budapest privilégie une spatialisation ample, avec une réverbération notable qui renforce l’impression de masse. Ce choix donne de la chair à la texture collective, mais nuit parfois à la lisibilité des lignes. Le violoncelle domine l’équilibre sonore, au détriment des violons, ce qui accentue l’ancrage grave du quatuor mais empêche certains détails du premier pupitre d’émerger avec netteté. Cette image sonore légèrement déséquilibrée ne compromet pas la compréhension du discours musical, mais elle impose une écoute attentive.


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