Rencontres Musicales d'Evian - La Grange au Lac - Intégrale de la musique de chambre de Maurice Ravel

Rencontres Musicales d'Evian - La Grange au Lac - Intégrale de la musique de chambre de Maurice Ravel

Cette intégrale de Ravel aura eu le mérite de restituer dans son intégralité un corpus rare en concert, porté par des musiciens techniquement irréprochables. Pourtant, le choix esthétique global, marqué par une certaine élégance contenue, laisse le sentiment d’un cycle plus “sur partitions” que “dans l’instant”. Une vision hautement respectable, mais qui appelle, pour d’autres oreilles, une part de risque et de déséquilibre supplémentaire pour donner à Ravel toute sa modernité silencieuse.











30 juin, 1er et 2 juillet 2025
Note: 4/5



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Une intégrale Ravel à La Grange au Lac : entre exigence formelle et retenue expressive.

Trois soirées dédiées à Maurice Ravel ont offert aux auditeurs de La Grange au Lac une immersion raffinée dans l’univers chambriste du compositeur. Ce parcours, pensé autour de Renaud Capuçon, réunissait quelques-uns des meilleurs musiciens français actuels, mais la perfection instrumentale affichée a parfois semblé se heurter à une prudence expressive, là où l’œuvre appelait davantage de liberté et de lyrisme contenu.

La Sonate n°1 en ut majeur, œuvre de jeunesse rare et posthume, s’ouvre sur un dialogue qui cherche ses marques. Renaud Capuçon, fidèle à sa palette sonore noble et finement articulée, imprime une ligne chantante au violon, avec un vibrato retenu et une dynamique nuancée. Mais le pianiste Arthur Hinnewinkel, visiblement soucieux de ne jamais couvrir son partenaire, adopte une posture trop discrète : son toucher manque de profondeur harmonique, les accords restent en surface, et le discours semble parfois corseté, sans véritable respiration commune. Le rubato reste théorique, les silences ne trouvent pas leur poids expressif. L’Andante, censé permettre une suspension lyrique, peine à se déployer dans une phrase continue.

La Sonate n°2 en sol majeur, plus tardive et célèbre, bénéficie de l’apport de Guillaume Bellom. Le duo trouve un équilibre plus naturel, notamment dans le premier mouvement, où transparence et finesse de timbre sont au rendez-vous. Le Blues central, cet étrange pastiche franco-américain si typique de l’esthétique ravélienne, est l’un des grands moments du cycle : Capuçon y déploie une articulation idiomatique, faite de portamenti allusifs et d’accents faussement nonchalants. Mais le piano, s’il reste élégant, manque encore de mordant rythmique. La syncope jazzy, élément central de l’humour ravélien, n’est pas tout à fait assumée, créant un léger décalage de caractère entre les deux partenaires. Le Perpetuum mobile final, parfaitement en place, reste toutefois trop prudent dans son emportement rythmique.

La Berceuse sur le nom de Fauré, œuvre brève et allusive, concentre bien des enjeux d’interprétation : transparence, fusion des timbres, abstraction harmonique. Capuçon y excelle dans un phrasé suspendu, murmuré, mais le piano reste mécanique. L’alchimie ne prend pas tout à fait, et l’on entend moins une évocation poétique qu’une exécution appliquée.

Le Quatuor en fa majeur, œuvre matricielle de Ravel, est défendu ici par le jeune Quatuor Dutilleux, formation issue de l’Orchestre de Paris. L’interprétation impressionne par la clarté de texture, la précision des attaques et l’équilibre des voix, notamment dans l’Allegro moderato. La gestion des transitions entre les thèmes et l’unité rythmique témoignent d’un travail approfondi. Pourtant, le discours demeure dans une veine un peu analytique : les nuances très doux restent trop mesurées, et certaines envolées lyriques paraissent comme désamorcées par un contrôle excessif du timbre.

Le très rythmé second mouvement est plus convaincant : nerf, énergie, tension rythmique. Le pizzicato central est bien sculpté, mais là encore, le refus de toute liberté dans l’agogique empêche une vraie souplesse. Dans le finale, l’engagement formel ne faiblit pas, mais la ligne mélodique ne s’élève jamais tout à fait : le climax, en particulier, semble retenu, comme si le quatuor n’osait se laisser emporter par la pulsation dramatique sous-jacente.

Le Trio en la mineur, sommet absolu de la musique de chambre française, réunissait Pierre Fouchenneret, Guillaume Bellom et Julia Hagen. L’équilibre timbrique est là, la clarté formelle aussi. Mais, comme dans le reste du cycle, la retenue prime. Le second mouvement (Pantoum) manque de cette liberté intérieure, de cette tension instable entre structure et fulgurance poétique qui en fait la singularité. Le final est soigné, mais pas incandescent.

L’Introduction et Allegro pour harpe, flûte, clarinette et quatuor à cordes fut sans doute la plus libre de ces lectures. La harpiste Tjasha Gafner propose un jeu habité, avec un toucher vibrant qui donne à la pièce une respiration naturelle. Les vents, très souples, équilibrent le discours avec intelligence.

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