Ravel – Daphnis et Chloé - Aziz Shokhakimov – Orchestre philharmonique de Strasbourg – Chœur de l’Opéra national du Rhin

Ravel – Daphnis et Chloé - Aziz Shokhakimov – Orchestre philharmonique de Strasbourg – Chœur de l’Opéra national du Rhin

Les amoureux de Ravel les plus exigeants continueront probablement de se tourner vers des lectures plus affûtées et plus sensuelles. Ceux qui cherchent une approche atmosphérique et fluide, sans maniérisme, y trouveront malgré tout des qualités notables.















Warner Classics 2173 26282-3
Note: 3,5/5

 
Enregistrer Daphnis et Chloé de Ravel, c’est inévitablement entrer en compétition avec plus de 70 ans de légendes du microsillon : de la sensualité évanescente de Monteux à Boston, à la précision millimétrée de Boulez à Berlin, en passant par la luxuriance de Dutoit à Montréal ou le spectaculaire relief de John Wilson à Londres. Dans ce contexte ultra-concurrentiel, la proposition d’Aziz Shokhakimov et de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg mérite qu’on s’y attarde, tant elle cherche à faire entendre une voix personnelle.

La première qualité qui frappe à l’écoute de cet enregistrement est la manière dont Shokhakimov construit la continuité narrative et la fluidité du discours orchestral. Loin de toute approche démonstrative ou clinquante, le chef ouzbek adopte un geste souple, presque chorégraphique, laissant les transitions se déployer sans rupture.

L’introduction de l’œuvre, avec ses nappes ondoyantes, se caractérise par une respiration naturelle, une impression de mystère soigneusement entretenue. L’orchestre joue ici avec des textures flottantes, où les vents sont comme suspendus, les cors lointains évoquent des échos pastoraux, et la dynamique reste contrôlée, jamais surjouée. L’Interlude entre la première et la deuxième partie bénéficie lui aussi d’une gradualité très bien maîtrisée, offrant une montée progressive vers l’explosion orchestrale qui s’ensuit.

Mais cette volonté de fluidité et de naturel a son revers : un manque de précision dans l’articulation des détails orchestraux. C’est l’une des principales faiblesses de cet enregistrement.

Dès l’introduction, on peine à distinguer les frémissements subtils des cordes, ces frises sonores qui doivent suggérer le balancement de la mer ou les frissons de l’aube. Les traits de harpe, moments-clés de la Danse religieuse, sont noyés dans la masse. Plus problématique encore, le célèbre Lever du jour, qui dans les meilleures versions offre un émerveillement lumineux et progressif, manque ici cruellement de présence dans les gazouillis des bois, et l’on cherche en vain la brillance et la sensualité des couleurs orchestrales.

Sur le plan technique, la prise de son, bien que généreuse et ample, favorise une image sonore globalisante, au détriment de la définition des plans instrumentaux. La perspective acoustique paraît large, mais peu différenciée : les strates sonores se superposent parfois sans que l’auditeur puisse toujours démêler qui joue quoi.

Les bois sont bien captés dans les solos exposés, notamment le célèbre solo de flûte de la Deuxième Partie, mais sans la sensualité enveloppante ni la proximité charnelle qu’on pourrait espérer dans ce répertoire. Les cordes, quant à elles, manquent de mordant dans les moments de tension.

L’Orchestre philharmonique de Strasbourg répond pourtant avec engagement et souplesse à la direction de son chef. La pâte orchestrale reste souple, les crescendos bien étagés, et les équilibres globaux sont respectés. La « Danse guerrière » conserve son caractère dansant malgré le tempo rapide, évitant de basculer dans la pure démonstration de puissance.

La « Danse générale » qui conclut l’œuvre respire un enthousiasme communicatif, même si la netteté des attaques n’est pas toujours irréprochable et que certains décalages instrumentaux restent audibles. Le chef ne tombe pas dans le piège de l’excès de spectaculaire, préférant un élan collectif un peu flou mais sincère, à un étalage de décibels sans âme.

Le Chœur de l’Opéra national du Rhin, très bien préparé, s’intègre idéalement au tissu orchestral : ses interventions dans la Deuxième et la Troisième Partie apportent une belle lumière, et la panique finale est rendue avec vigueur.

En définitive, cet enregistrement laisse une impression mitigée. On admire la franchise du geste, la volonté de ne pas forcer les effets, la musicalité générale et l’instinct de Shokhakimov dans la gestion des transitions. Mais le manque de définition dans la prise de son, l’absence de piqué dans les détails, et la relative neutralité émotionnelle de certains passages-clés empêchent cette version de rivaliser avec les sommets de la discographie.

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