Philippe d’Orléans – Suite d’Armide ou Jérusalem Délivrée - Cappella Mediterranea – Chœur de Chambre de Namur – Leonardo García Alarcón - Marie Lys · Véronique Gens · Gwendoline Blondeel · Cyrille Dubois · Nicholas Scott · Fabien Hyon · Victor Sicard · David Witczak
Philippe d’Orléans – Suite d’Armide ou Jérusalem Délivrée - Cappella Mediterranea – Chœur de Chambre de Namur – Leonardo García Alarcón - Marie Lys · Véronique Gens · Gwendoline Blondeel · Cyrille Dubois · Nicholas Scott · Fabien Hyon · Victor Sicard · David Witczak
Une redécouverte essentielle, mais une interprétation qui, malgré ses beautés, manque de rigueur stylistique et d’équilibre dramaturgique pour imposer l’œuvre comme un véritable chef-d’œuvre du baroque français. Les amateurs éclairés y trouveront des trésors — à condition de ne pas attendre l’évidence d’un grand moment d’opéra intégralement réussi.
Château de Versailles CVS125
Note: 3/5
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Redonner vie à un opéra oublié du Grand Siècle, signé d’un régent mélomane, est en soi un geste patrimonial salutaire. Mais cette Suite d’Armide ou Jérusalem délivrée, tragédie en musique en cinq actes inspirée du Tasse, intrigue d’emblée : la paternité musicale, traditionnellement attribuée à Philippe II d’Orléans, est ici entachée de doutes documentés — le rôle qu’y joua Charles-Hubert Gervais semble central, voire prépondérant. Quoi qu’il en soit, on ne saurait réduire cette œuvre à une curiosité historique. Elle témoigne d’un style en transition, à la croisée de Lully et Rameau, et mérite mieux que la simple mention en bas de page du livret d’un prince.
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Redonner vie à un opéra oublié du Grand Siècle, signé d’un régent mélomane, est en soi un geste patrimonial salutaire. Mais cette Suite d’Armide ou Jérusalem délivrée, tragédie en musique en cinq actes inspirée du Tasse, intrigue d’emblée : la paternité musicale, traditionnellement attribuée à Philippe II d’Orléans, est ici entachée de doutes documentés — le rôle qu’y joua Charles-Hubert Gervais semble central, voire prépondérant. Quoi qu’il en soit, on ne saurait réduire cette œuvre à une curiosité historique. Elle témoigne d’un style en transition, à la croisée de Lully et Rameau, et mérite mieux que la simple mention en bas de page du livret d’un prince.
La présente réalisation discographique, pilotée par Leonardo García Alarcón, entend sortir cette œuvre de l’ombre. Mais elle soulève autant d’interrogations qu’elle ne suscite d’enthousiasme.
L’œuvre elle-même est une découverte enthousiasmante. Elle frappe par sa variété de textures et son sens dramatique, dépassant souvent les formules convenues de la tragédie lyrique. L’harmonie y est subtilement modulée, les airs brefs mais expressifs, les récits toujours orientés vers une intensité croissante. Surtout, l’orchestration surprend à plusieurs reprises par son audace : bassons obligés, flûtes seules sans continuo, luths et théorbes écrits indépendamment de la basse chiffrée, dialogues entre violons pizzicato et cordes arco…
L’invocation d’Herminie à l’acte I, l’air « Ô vue, hélas » à l’acte IV ou la symphonie préparant le monologue de Renaud à l’acte III sont autant de moments qui témoignent d’un raffinement qui n’a rien d’anecdotique. On est ici loin du simple pastiche lullyste ou de la pompe décorative : la musique vit, pense, évolue, et sait ménager des surprises instrumentales qui annoncent les grandes métamorphoses du théâtre musical français du XVIIIᵉ siècle.
C’est peut-être sur la direction musicale que la présente version laisse le plus perplexe. Le travail de Leonardo García Alarcón se signale, comme souvent, par une haute densité sonore, une tension dramatique continue, et une volonté de maintenir une énergie théâtrale soutenue. Mais cette tension vire parfois à la précipitation, voire à l’essoufflement. Plusieurs tempi semblent davantage dictés par le désir d’éloquence orchestrale que par les nécessités du texte ou la logique de la déclamation.
Plus problématique encore : l’orchestre, bien que d’une cohérence technique irréprochable, ne respecte pas toujours les indications spécifiques de l’instrumentation originale. Certaines textures rares, pourtant soigneusement notées dans la partition, sont gommées ou transformées. Le remplacement des flûtes allemandes par une flûte à bec, les pizzicati cordes rendus par des basses d’archet, l’adjonction inopinée du clavecin dans des passages fragiles — autant de décisions qui oblitèrent la singularité de la partition. L’impression générale est celle d’un chef désireux de modeler l’œuvre selon une esthétique personnelle, quitte à sacrifier la singularité sonore de l’original.
S’ajoute à cela un usage spectaculaire mais souvent gratuit du rubato, notamment dans les ralentis finaux, qui cherchent l’effet plus que le sens. Certains contrastes de tempo artificiels désorientent : pourquoi ralentir le chœur final « Nos fers sont brisés » au point d’en ôter toute joie, pour accélérer immédiatement au « triomphe » suivant, sans logique dramatique claire ? Cette volonté d’emphase expressive ne parvient pas toujours à masquer le manque de respiration globale de l’interprétation.
La distribution est globalement convaincante, mais hétérogène. Véronique Gens, en Armide, est magistrale. Sa diction souveraine, sa ligne de chant ductile, sa capacité à allier hauteur tragique et blessure intérieure, font d’elle le pivot expressif du drame. Elle rappelle, une fois encore, combien elle reste sans rivale dans ce répertoire.
Marie Lys apporte, en Herminie, un timbre lumineux, un phrasé soigné, et une belle capacité à modeler ses lignes sans les affecter. Moins marquante mais toujours élégante, Gwendoline Blondeel incarne le Démon avec conviction, notamment dans son apparition à l’acte III.
Cyrille Dubois, en Renaud, possède le style et le feu requis, mais la sophistication cède parfois à un lyrisme un peu théâtral, qui frôle l’affectation. Le timbre reste séduisant, mais la ligne manque parfois de souplesse. Fabien Hyon, quant à lui, paraît en retrait : diction incertaine, émission moins stable, il peine à imposer son personnage. Victor Sicard (Tancrède) déçoit également par un chant trop uniforme, qui manque de noblesse et de relief. En revanche, David Witczak, en Ismen, fait entendre un baryton à la fois ferme et subtil, à la déclamation exemplairement conduite.
Le Chœur de Chambre de Namur, souvent en retrait dans ce répertoire, montre des signes de fébrilité dans les ensembles, avec des attaques brouillonnes et une homogénéité fluctuante. L’implication ne fait pas défaut, mais l’équilibre entre pupitres et l’intelligibilité du texte restent inégaux.
Enfin, certaines décisions éditoriales interrogent : de nombreuses coupures affectent non seulement la structure mais aussi l’effet dramatique de l’œuvre. La suppression de plusieurs danses et de la marche d’ouverture de l’acte I (pourtant annoncée dans le livret !) nuit à la progression dramatique et laisse des transitions bancales. Le prologue est entièrement écarté, ce qui réduit la portée politique de l’œuvre (on y trouvait une allégorie transparente du pouvoir royal). Dans une tragédie en musique, où l’équilibre repose précisément sur l’alternance entre récits, danses, airs, chœurs et symphonies, ces absences fragilisent l’économie globale.
Cette Suite d’Armide est une œuvre étonnante, parfois bouleversante, dont l’exhumation est une réelle contribution au répertoire baroque français. Elle nous parle à la fois d’un prince compositeur et de l’évolution d’un style musical en pleine mutation. Malheureusement, cette lecture discographique, brillante dans ses intentions mais trop libre dans sa réalisation, ne rend que partiellement justice à la singularité de l’œuvre. Les interprètes vocaux sont parfois admirables, mais desservis par une direction trop subjective et un respect incertain de la partition.
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