Leoš Janáček - Jenůfa Agneta Eichenholz - Katarina Karnéus - Aleš Briscein - Nicky Spence - Carole Wilson - London Symphony Orchestra & Chorus - Sir Simon Rattle

Leoš Janáček - Jenůfa Agneta Eichenholz - Katarina Karnéus - Aleš Briscein - Nicky Spence - Carole Wilson - London Symphony Orchestra & Chorus - Sir Simon Rattle

Cette Jenůfa de Rattle n’est pas la plus déchirante jamais gravée. Elle ne cherche pas à surpasser l’impact émotionnel brut des versions Mackerras ou Ančerl. Mais elle impose une vérité musicale, une rigueur dramaturgique et une lisibilité émotionnelle rares. En cela, elle s’impose comme une lecture de référence du XXIᵉ siècle, pour qui veut comprendre l’œuvre dans toute sa complexité morale et musicale.















LSO Live
Note: 4,5/5


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Après La Petite Renarde rusée et Káťa Kabanová, Sir Simon Rattle poursuit son exploration de l’univers théâtral de Janáček avec Jenůfa, chef-d’œuvre de 1904, charnière entre le drame populaire et l’opéra moderne. Avec cette nouvelle version captée en concert au Barbican, il ne cherche ni à reconstituer un folklore sonore, ni à sublimer une tradition vocale morave. Il propose une lecture résolument architecturée, d’une sobriété sans distance, presque naturaliste, dans laquelle l’orchestre devient l’agent de la tension dramatique.

Dès l’ouverture, ce qui frappe est la maîtrise des flux orchestraux, une souplesse presque chambriste dans les transitions, alliée à une écoute fine de la densité harmonique. Rattle déploie une palette de couleurs somptueusement équilibrée : les ostinatos obsédants, les inflexions du cor anglais ou les frottements harmoniques dans les cordes sont autant de micro-événements expressifs, mais jamais anecdotiques. Rien ne semble surligné, tout respire la cohérence interne du drame.

Ce n’est pas une lecture sèche ni abstraite : les tensions sont là, mais jamais forcées. La brutalité n’est pas une posture, elle surgit de l’enchaînement inexorable des causes. Dans le deuxième acte, par exemple, la scène entre la Kostelnička et Jenůfa atteint une densité émotionnelle exceptionnelle sans aucun effet spectaculaire : la violence naît de la lucidité, de la clarté même avec laquelle Rattle expose la ligne dramaturgique.

L’orchestre du LSO est tout simplement souverain : phrasé exemplaire, attaques nettes, équilibres parfaits entre pupitres, et une capacité rare à maintenir la tension dans les silences. On est très loin de la déferlante symphonique parfois offerte dans les versions plus expressionnistes : ici, l’orchestre suggère plus qu’il n’impose, mais avec une autorité implacable.

Dans le rôle-titre, Agneta Eichenholz propose une lecture toute en pudeur et en intériorité. Ce n’est pas une Jenůfa incandescent ou frémissante de fièvre, mais une femme blessée, murée dans une douleur que l’on devine plus qu’elle ne l’exprime. La ligne de chant est tenue avec beaucoup de noblesse, le timbre argenté, parfois un peu dur dans les forte, s’adoucit dans les prières du deuxième acte, où sa musicalité fait merveille.

Cela dit, son interprétation peut laisser certains auditeurs sur une impression de distance émotionnelle. Là où d’autres sopranos ont fait de Jenůfa une figure de passion déchirée, Eichenholz choisit la retenue presque stoïque, ce qui s’accorde bien avec la direction de Rattle, mais peut manquer d’impact viscéral dans les moments de bascule dramatique. On admire, mais on est rarement bouleversé.

La grande réussite de cet enregistrement tient sans doute à Katarina Karnéus, dans une Kostelnička hallucinée, fracassée, tiraillée entre l’orgueil moral, la peur du qu’en-dira-t-on et une dévotion ambivalente à sa belle-fille. La mezzo suédoise livre une performance d’une intensité dramatique foudroyante, où chaque inflexion de timbre traduit un basculement psychologique.

La voix est encore solide sur toute la tessiture, avec un grave nourri, un aigu percutant, et surtout une maîtrise expressive du mot tchèque. Elle ne cède jamais à l’hystérie vocale : c’est le personnage qui se désintègre, pas l’interprète. La scène centrale du deuxième acte est un moment de théâtre pur, d’une violence retenue qui glace le sang. Rarement on aura senti aussi profondément le déchirement éthique de ce personnage, à la fois coupable et sacrifié.

Aleš Briscein campe un Laca sincère et tourmenté, à la voix claire, bien projetée, avec une musicalité sans faille. Il ne cherche pas à viriliser le personnage mais en propose une version tendre, presque fragile, ce qui rend le duo final d’autant plus émouvant. Son chant est à la fois tendu et lumineux, sans affèterie, et ses aigus sont libres, portés par un souffle généreux.

Nicky Spence, en revanche, compose un Števa plus caricatural, voire un peu outré. La voix est brillante, l’émission solide, mais le personnage devient presque une figure d’opérette par moments. Il manque ce mélange de lâcheté et de sensualité trouble qui fait de Števa une figure ambivalente. Sa prestation demeure efficace, mais stylistiquement un cran en-dessous de l’ensemble.

Tous les rôles secondaires sont tenus avec une solide justesse de ton : Carole Wilson (Grand-mère) impose une figure digne et humaine ; Jan Martiník (le contremaître) offre une diction impeccable ; Claire Barnett-Jones, Erika Baikoff, Evelin Novak apportent fraîcheur et relief aux rôles secondaires.

Le chœur du London Symphony Chorus, préparé par Simon Halsey, mérite des éloges particuliers. Il allie précision rythmique, justesse d’intonation et engagement dramatique. On ressent pleinement la fonction dramatique du chœur dans Jenůfa : non pas simple décor sonore, mais voix de la communauté, parfois complice, parfois bourreau.

La prise de son est exemplaire : jamais artificielle, elle restitue avec fidélité la réverbération naturelle de la salle du Barbican, tout en assurant une parfaite intelligibilité des voix. L’équilibre orchestre/chant est d’une rare justesse. Les détails instrumentaux sont superbement rendus (notamment le cor anglais et les percussions), sans jamais masquer le texte. Le format SACD accentue cette impression de présence physique de l’événement.

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