Jean-Baptiste LULLY - Atys (1676) - Cappella Mediterranea - Chœur de Chambre de Namur - Leonardo García-Alarcón - Matthew Newlin - Giuseppina Bridelli - Ana Quintans - Andreas Wolf

Jean-Baptiste LULLY - Atys (1676) - Cappella Mediterranea - Chœur de Chambre de Namur - Leonardo García-Alarcón - Matthew Newlin - Giuseppina Bridelli - Ana Quintans - Andreas Wolf

Cet Atys est intellectuellement stimulant, visuellement magnétique, musicalement riche, mais esthétiquement trop éloigné de son matériau d’origine pour convaincre sans réserve. À écouter, assurément, pour la beauté de certaines séquences, pour la modernité du geste, pour le vertige du choix artistique. Mais à réserver à ceux qui acceptent que Lully puisse devenir — momentanément — baroque à l’italienne, presque expressionniste.















Château de Versailles Spectacles CVS113
Note: 3,5/5



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Plus de trois siècles après sa création à Saint-Germain-en-Laye, Atys continue d’interroger notre rapport au théâtre musical français du XVIIe siècle. Œuvre fondatrice, synthèse parfaite du classicisme tragique et de l’invention musicale, cette tragédie en musique, emblématique de la collaboration entre Quinault et Lully, se prête à mille lectures. Celle que propose aujourd’hui Leonardo García-Alarcón – captée à Genève dans la production chorégraphiée d’Angelin Preljocaj – ne saurait laisser indifférent. Elle bouscule, fascine, divise. Elle dérange par ses partis pris, séduit par son souffle. Elle ose. Mais ose-t-elle trop ?

Dès les premières mesures, le ton est donné : couleurs foisonnantes, percussions omniprésentes, phrasés volontairement fragmentés, contrastes presque cinématographiques. García-Alarcón entend recomposer la tragédie plutôt que la servir dans ses lignes architecturales. Là où Lully structure le discours en grandes arches, ménage des respirations, inscrit le mouvement dans une logique oratoire racinienne, le chef argentin segmente. Chaque séquence devient un « numéro » à part entière, mis en lumière, souligné, parfois déformé. Le flux du récitatif, essentiel dans cette esthétique, est souvent interrompu par des ralentis expressifs, des appoggiatures appuyées, des ruptures de tempo qui brisent l’unité dramaturgique.

Le prologue est absent des CD – relégué au DVD – et des coupures importantes affectent notamment l’acte V et les scènes des Songes, vraisemblablement pour faire tenir l’œuvre sur deux disques. Cette économie au format nuit gravement à l’équilibre d’ensemble. Le menuet nuptial, traité avec un éclat orchestral surdimensionné, en devient presque grotesque tant il est saturé de percussions.

Le continuo, il faut le dire, est d’une richesse exceptionnelle. Le chef, dont on connaît la sensibilité au théâtre de Cavalli, injecte dans le tissu instrumental une matière vivante, charnelle, sensuelle même. Mais cette luxuriance se retourne parfois contre la ligne, alourdissant les petits airs, noyant les subtilités du texte. Là où la musique devrait suggérer, elle impose. Là où Lully murmure, García-Alarcón déclame.

L’ensemble instrumental brille par son homogénéité, la précision des attaques, la beauté des timbres. Les cordes graves, omniprésentes, apportent une densité expressive impressionnante. Le travail des bois et des percussions, ciselé avec soin, confère à certains épisodes une énergie dramatique redoutable. Mais cette richesse tourne parfois à l’excès : la profusion devient surcharge. L’équilibre entre chant et orchestre est à maintes reprises rompu, le discours vocal peinant à émerger d’un tapis sonore trop généreusement développé.

Le Chœur de Chambre de Namur offre une prestation globalement solide, puissante, mais contrastée. Certaines scènes collectives – comme les interventions des Songes – souffrent d’un manque de lisibilité dans l’articulation. L’homogénéité sonore est là, mais la subtilité prosodique reste en retrait, et les oppositions de climat sont traitées avec une certaine brutalité.

Matthew Newlin, dans le rôle-titre, impressionne par son engagement physique. Il danse, chante, habite littéralement son personnage, avec un sens dramatique indéniable. Sa diction française, d’une clarté exemplaire, sert admirablement la prosodie lullienne. Pourtant, le chant peine à convaincre dans la durée : le timbre, parfois tendu, manque de souplesse ; l’émission se durcit sur les phrases longues ; l’expressivité tourne parfois au surjeu. Son Atys devient convulsif, tiraillé, souvent plus agité que bouleversant. La dernière phrase — « Je suis assez vengé : vous m’aimez, et je meurs » — est livrée avec une intensité tragique excessive, passant à côté de la douloureuse pudeur du personnage.

Giuseppina Bridelli, en Cybèle, adopte un style très expressif, presque opératique au sens romantique. Elle alterne des moments d’autorité vocale et des passages de fragilité dramatique. Mais ce mélange ne convainc pas totalement. La voix, bien timbrée, manque de verticalité et de cette souveraineté distante que le rôle exige. Son personnage oscille entre détresse affective et grande prêtresse, sans jamais totalement s’imposer dans la majesté.

Ana Quintans (Sangaride) déçoit par un chant trop uniforme, où la ligne peine à s’animer. Le timbre reste plaisant, mais la dynamique expressive reste faible, et la délicatesse de la figure amoureuse ne se projette pas avec l’évidence attendue. Son duo avec Atys ne parvient jamais à émouvoir pleinement.

Andreas Wolf, en Célénus, propose une incarnation solide mais rigide, dont la vocalité reste extérieure au drame. Son autorité vocale ne compense pas une relative absence de caractère.

En revanche, les seconds rôles brillent. Cyril Auvity (le Sommeil, Phantase) et Adrien Fournaison (Idas, Phobétor) livrent des prestations stylées, nuancées, d’une grande musicalité. La souplesse de leur chant, leur diction exemplaire et leur sens du théâtre sauvent l’équilibre général.

Le DVD/Blu-ray documente une mise en scène chorégraphiée très esthétique, signée Angelin Preljocaj. La fusion du chant et de la danse, dans une logique de continuité corporelle, fonctionne souvent à merveille. Les chanteurs esquissent des gestes repris par les danseurs, créant une dynamique visuelle intrigante. Mais cette surabondance de mouvement finit parfois par détourner l’attention de la parole, du verbe, du texte. L’univers visuel, superbe dans ses lumières et ses costumes, évoque parfois une abstraction post-moderne qui prend le pas sur la dramaturgie du livret.

Lully n’écrit pas de "grands airs". Il compose un théâtre en flux, tout en allusions, ruptures feutrées, demi-teintes. La force d’Atys réside dans son économie expressive, dans l’intensité des non-dits, dans l’ambiguïté des rapports humains. Cette version, dans sa démesure, sa fragmentation, sa recherche constante d’effets, trahit en partie cette esthétique.

Il serait injuste de condamner cette lecture pour sa liberté seule. Elle a le mérite de questionner, d’enflammer le débat, de proposer un Atys qui n’est ni muséographique ni tiède. Mais elle échoue à restituer la tension dramatique essentielle de l’œuvre, cette ligne droite et invisible qui mène du rêve pastoral à la tragédie intérieure.

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