Images - Hommage à Marcel Tournier - Emmanuel Ceysson, Véronique Gens, Quatuor Voce

Images - Hommage à Marcel Tournier  - Emmanuel Ceysson, Véronique Gens, Quatuor Voce

Cet Hommage à Marcel Tournier est plus qu’un disque. C’est un travail de redécouverte, d’incarnation et de transmission. Il montre que la harpe peut, dans le répertoire français, être autre chose qu’un instrument décoratif ou soliste : un cœur vivant du discours musical.















Alpha Classics  Alpha 1133
Note: 4,8/5


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Avec Images, Alpha Classics publie l’un des albums les plus singuliers et les plus raffinés de la musique française pour harpe de ce début de XXIe siècle. Dédié à l’univers poétique et trop souvent marginalisé de Marcel Tournier (1879–1951), ce programme ambitieux ressuscite un corpus d’œuvres aux confins du symbolisme, de l’impressionnisme, et de l’art décoratif musical, porté ici par un trio d’interprètes d’exception : Emmanuel Ceysson, Véronique Gens, et le Quatuor Voce.

Si l’on connaît vaguement le nom de Marcel Tournier chez les harpistes professionnels — en tant qu’élève puis successeur d’Alphonse Hasselmans au Conservatoire de Paris — son œuvre reste presque invisible au disque. Ce silence s’explique moins par une quelconque médiocrité que par l’extrême spécificité de son écriture : intimement liée à l’instrument, d’une richesse idiomatique comparable à celle de Rachmaninov pour le piano, et sans doute trop raffinée pour s’imposer au concert hors d’un cercle d’initiés.

Tournier compose un univers fermé, dense, introspectif, souvent miniature, aux titres évocateurs et aux formes libres. Il invente une musique de l’entre-deux, entre rêve et structure, entre timbre et harmonie. Son langage, tout en demi-teintes, se situe dans la lignée de Debussy et Ravel sans jamais s’y confondre : les plans harmoniques sont plus mobiles, parfois plus aventureux, moins clairement modaux. Loin d’un art de la surface, sa musique creuse dans la matière sonore une temporalité suspendue, faite de miroitements, d’illusions, de figures insaisissables.

Le programme du disque est remarquablement agencé. Il conjugue pièces pour harpe seule, œuvres chambristes et mélodies, offrant une traversée de l’imaginaire tournérien dans toute sa diversité formelle et expressive. Les quatre suites d’Images, rarement entendues, forment le cœur du disque. Alternant atmosphères pastorales, scènes enfantines et évocations lointaines, elles manifestent une richesse de textures impressionniste, surtout dans la version avec quatuor à cordes, qui constitue ici une révélation.

La harpe s’y glisse avec naturel dans l’écrin du quatuor, tantôt émergeant en scintillements mélodiques, tantôt se fondant dans les résonances harmoniques. Ce n’est pas une juxtaposition, mais un tissu chambriste à part entière. À ce titre, le travail du Quatuor Voce mérite d’être salué pour sa capacité à épouser les subtilités de la harpe sans la submerger, ménageant une respiration collective rare.

La Sonatine op. 30, donnée ici dans sa version avec violon et violoncelle, s’ouvre sur un Allegro clair-obscur, presque pointilliste, suivi d’un mouvement lent ("Calme et expressif") d’un lyrisme suspendu, avant un finale plus tumultueux. L’ensemble présente une forme tripartite subtilement construite, où chaque motif semble naître du précédent, dans une logique d’évaporation plus que de développement.

La partie vocale, quoique brève (quatre mélodies), constitue une révélation. Tournier, peu porté vers le lyrisme vocal, y déploie un art de l’épure et de la suggestion, souvent sur des poèmes de sa main. Les textes sont courts, impressionnistes, parfois oniriques, parfois sentimentaux. On y entend une voix intérieure, une confidence plus qu’une projection.

Dans La Lettre du jardinier, Insomnie, Rêverie de Bouddha, et surtout Elle est venue, elle a souri, la voix de Véronique Gens fait merveille. Sa diction d’orfèvre, son legato flottant, sa science du mot chanté permettent à ces pièces de trouver un juste équilibre entre phrasé français et expressivité intimiste. Gens ne surjoue jamais : elle chuchote, suggère, déroule la phrase avec une noblesse naturelle. Elle se fond littéralement dans le tissu instrumental, sans jamais perdre l’intelligibilité du texte. Une leçon de style.

On ne dira jamais assez la maîtrise d’Emmanuel Ceysson dans cet enregistrement. Harpiste flamboyant et instinctif, il réussit ici à canaliser sa virtuosité dans une expressivité plus intérieure, à la fois narrative et texturale. Il n’y a rien de démonstratif. Tout est dans l’allusion, dans la nuance du timbre, dans l’arche dynamique. La harpe devient un instrument poétique total : percussive, ondulante, caressante, incantatoire. Dans La Volière magique, Ceysson se fait conteur. Dans Cloches sous la neige, il devient sculpteur de silence. Rarement la harpe aura été aussi expressive sans pathos, aussi subtile sans affectation.

L’enregistrement, réalisé à la salle Colonne par Hugues Deschaux, est une réussite technique de très haut niveau. L’équilibre entre les plans, la clarté des résonances, la transparence des harmoniques sont remarquables. La voix est parfaitement intégrée dans le tissu instrumental, sans domination ni retrait. On perçoit chaque inflexion du quatuor, chaque variation de texture à la harpe, sans jamais sacrifier l’unité sonore. Une référence.

On ressort de l’écoute avec un sentiment de rare plénitude : celui d’avoir exploré un monde oublié, restitué avec intelligence, amour et imagination. Une réussite discographique majeure, qui impose Tournier parmi les grandes voix singulières du XXe siècle — et Ceysson parmi ses plus fins interprètes.

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