Rameau – Platée - La Chapelle Harmonique – Valentin Tournet
Rameau – Platée - La Chapelle Harmonique – Valentin Tournet
Une version à découvrir absolument pour la beauté de sa direction, la qualité de son interprète principal et le raffinement de son orchestre, malgré quelques bémols sur la réalisation du continuo et certains seconds rôles.
Château de Versailles CVS153
Note: 4,2/5
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Dans le paysage foisonnant des enregistrements d’opéra baroque, chaque nouvelle Platée attire l’attention des mélomanes comme des spécialistes. Il faut dire que l’opéra-ballet bouffon de Rameau, créé à Versailles en 1745, reste un cas à part : un chef-d’œuvre où la virtuosité orchestrale côtoie un humour grinçant, parfois cruel, mais toujours musicalement étourdissant. La version proposée par Valentin Tournet et La Chapelle Harmonique était donc très attendue.
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Dans le paysage foisonnant des enregistrements d’opéra baroque, chaque nouvelle Platée attire l’attention des mélomanes comme des spécialistes. Il faut dire que l’opéra-ballet bouffon de Rameau, créé à Versailles en 1745, reste un cas à part : un chef-d’œuvre où la virtuosité orchestrale côtoie un humour grinçant, parfois cruel, mais toujours musicalement étourdissant. La version proposée par Valentin Tournet et La Chapelle Harmonique était donc très attendue.
Dès les premières mesures, l’intention de Tournet est claire : proposer une lecture somptueuse, théâtrale et pleine de contrastes de couleurs. L’orchestre, superbement capté, déploie des textures d’une rare sensualité : bois incisifs, cordes soyeuses, cuivres à la fois ronds et piquants. La descente de Mercure au Prologue et celle de Jupiter au début du deuxième acte offrent des moments de pure splendeur orchestrale, où le raffinement de Rameau est restitué avec un luxe de détails rarement entendu.
Le travail sur les timbres frappe particulièrement dans les numéros instrumentaux : la verve rythmique des danses du premier acte, les accents grotesques dans les passages parodiques, et ces fameux hautbois si expressifs, presque "braillards", lors du Passepied, sont un régal d’invention sonore. On sent une direction engagée, nerveuse, toujours soucieuse du théâtre.
Cependant, tout n’est pas irréprochable. L’omniprésence du clavecin pose problème : trop en avant dans le mixage, souvent trop volubile, le continuo surcharge par endroits un tissu orchestral qui n’avait pas besoin de tant d’ornements. Certains récitatifs souffrent ainsi d’une réalisation surchargée, voire affectée, qui détourne l’attention du texte. Dans les danses, notamment le Branle et la première Contredanse en rondeau, les effets de trilles et de ruptures harmoniques donnent un sentiment de préciosité un peu vaine.
Dans le rôle-titre, Mathias Vidal livre une incarnation saisissante. Dès ses premières interventions, il campe une Platée aussi grotesque qu’émouvante. Sa maîtrise du style ramiste est impressionnante : la diction est mordante, la prosodie française irréprochable, et surtout, son jeu sur la nuance et le caractère fait merveille. Dans « À l’aspect de ce nuage », il parvient à exprimer tour à tour la naïveté, l’effroi et la jubilation, dans un mélange d’ironie et de pathétique parfaitement dosé. Sa virtuosité dans les moments de pure virtuosité, comme « Eh! fy, votre espérance », est tout simplement remarquable.
Mais Vidal ne se limite pas à la caricature : il construit au fil des actes un personnage plus complexe, et certaines inflexions dans les récitatifs révèlent même une forme de tendresse désespérée, qui donne au dénouement final une résonance presque tragique.
Autour de lui, la distribution vocale tient honorablement ses promesses, avec quelques très belles surprises. Marie Lys, en Folie, séduit par son timbre lumineux et son articulation ciselée. Sa virtuosité dans les redoutables vocalises du deuxième acte force l’admiration, même si l’on aurait aimé parfois un grain de folie plus poussé dans la caractérisation.
Zachary Wilder, en Thespis et Mercure, impressionne par sa souplesse vocale et sa clarté d’élocution. Son air « Nymphes, les Aquilons » est un sommet de délicatesse et d’expressivité, porté par une ligne de chant fluide et une réelle intelligence musicale.
Du côté des déceptions, Cyril Costanzo peine à convaincre en Momus. Son émission nasale, son manque de projection et un style un peu plat dans le Prologue comme dans l’acte II, créent un déséquilibre perceptible, notamment face à la verve de Vidal. Son air « Sujets divers » reste trop terne pour vraiment marquer.
Les autres rôles secondaires sont bien tenus, en particulier Alexandre Duhamel (Jupiter), dont la voix bien timbrée donne de l’autorité à ses interventions, et Juliette Mey (Junon), très à l’aise dans les registres plus sombres du rôle.
Le chœur de La Chapelle Harmonique mérite une mention spéciale : homogénéité, articulation exemplaire, précision rythmique, tout est réuni pour faire de chaque intervention chorale un moment de grand plaisir d’écoute. La vitalité qu’ils insufflent dans les grands ensembles contribue largement à la réussite dramatique de cette version.
La captation sonore privilégie la spatialisation et la richesse de détail, avec une belle profondeur de champ et un rendu très flatteur des bois et des cordes. Les mélomanes apprécieront la clarté des plans sonores, mais le positionnement du clavecin, trop en avant, et certaines compressions dynamiques dans les tutti laissent un léger goût d’inachevé sur le plan de la balance générale.
Valentin Tournet signe avec cette Platée une version haute en couleur, vivante, luxuriante, et souvent électrisante. La qualité du plateau vocal, la beauté orchestrale et l’engagement stylistique forcent le respect. Reste que certaines options de réalisation, en particulier autour du continuo, et quelques faiblesses dans les rôles secondaires, empêchent cet enregistrement d’atteindre le niveau des grandes références historiques. Pour autant, il s’impose comme l’une des lectures les plus enthousiasmantes de ces dernières années, et un choix précieux pour qui souhaite entendre Platée sous un jour nouveau, à la fois moderne dans la réalisation sonore et fidèle à l’esprit du théâtre ramiste.
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