Mozart - Die Zauberflöte - Orkester Nord - Martin Wåhlberg

Mozart - Die Zauberflöte - Orkester Nord - Martin Wåhlberg

Un projet historiquement informé, mais dramatiquement inabouti.















Aparté AP367
Note: 2,5/5


Visionner le clip vidéo
Acheter cet album
Accéder à la chaîne Altea Media I Love TV

C’est peu dire que ce nouvel enregistrement de Die Zauberflöte par Martin Wåhlberg suscite les débats. À la tête de l’Orkester Nord, le chef norvégien propose une lecture musicologiquement engagée, appuyée sur les archives originales du Theater an der Wien, lieu de création de l’ouvrage en 1791. Dialogues parlés intégraux, bruitages, usage systématique du pianoforte pour les récitatifs, ornementation foisonnante : la volonté d’authenticité est indéniable. Mais l’interprétation, tout entière tournée vers la reconstitution, en oublie trop souvent la vie dramatique et la magie poétique.

La direction de Wåhlberg séduit d’abord. L’ouverture, vive, contrastée, annonce un geste théâtral déterminé, où les couleurs instrumentales claquent avec franchise. On admire la finesse de certains pupitres solistes (les vents notamment), la mobilité du tempo dans l’esprit d’un Singspiel mouvant, la souplesse de l’intonation historique.

Mais très vite, l’écoute laisse poindre le doute. Les variations de tempo, mal maîtrisées, deviennent instables, erratiques, voire déroutantes : le trio des Trois Dames manque d’assise, la scène de Papageno avec l’Orateur perd toute tension rituelle, la marche des prêtres se désagrège. Le soutien orchestral est inégal : les cordes, maigres et souvent en retrait, peinent à donner la base harmonique attendue dans les grands ensembles. Certains crescendos, censés porter l’élan dramatique, tombent à plat. Le discours paraît parfois désarticulé, voire désengagé : on se demande, à plusieurs reprises, si la musique est véritablement dirigée ou simplement suivie.

Le pianoforte, omniprésent dans les dialogues, finit par lasser, tant son usage, certes historiquement justifié, devient bavard. Ce théâtre sonore, qui veut retrouver les ressorts du spectacle populaire de 1791, ne semble jamais parvenir à prendre chair. Loin de faire naître la magie du conte initiatique, il en mime les mécanismes avec application, mais sans chair ni mystère.

Côté chanteurs, les choix de distribution, parfois audacieux, ne se révèlent pas toujours payants. La Pamina adolescente (Ruth Williams) est conforme à l’âge de la créatrice du rôle. L’intention est louable, mais le résultat s’avère fragile. Le timbre est blanchâtre, souvent inaudible dans les ensembles, le phrasé manque de liant, et l’absence de vibrato accentue une ligne vocale raide. Dans « Ach, ich fühl’s », le désespoir amoureux de la jeune fille se traduit par une diction hachée, comme émiettée, qui évoque plus un solfège laborieux qu’un chant habité.

Tamino, de son côté, n’offre guère plus de garanties : ligne vocale lâche, timbre opaque, projection déficiente. Son air du portrait est lent, artificiellement dramatisé, sans ligne claire. Sa confrontation avec l’Orateur manque d’élévation morale, et le « Wie stark ist nicht dein Zauberton » s’effondre dès les premières mesures, par défaut de legato et de conviction stylistique.

Papageno, confié à Martin Walser, n’échappe pas à la grisaille ambiante. La voix est belle — rappelant par moments les jeunes années de Goerne — mais le personnage manque d’entrain, et l’humour potache du rôle tourne vite à la mollesse. Papagena, elle, ne tente même pas une caractérisation comique ou rusée. Le duo final se dilue dans l’indifférence. Quant à Sarastro, l’émission puissante mais monochrome de Bastian Kohl ne suffit pas à masquer un manque de legato et un martèlement systématique du phrasé, notamment dans « O Isis und Osiris ». Même les deux Prêtres et les Hommes armés sont défigurés par une diction engorgée et un placement vocal incertain.

La Reine de la Nuit (Pauline Texier) sauve un peu les meubles, avec un « Der Hölle Rache » percutant et acrobatique, mais son interprétation demeure impersonnelle, plus proche d’un exercice de style que d’un cri de vengeance. On perçoit une imitation des grands modèles — Dessay, notamment — sans l’intériorité émotionnelle ni le pouvoir scénique.

Le plus grand échec de cette Flûte enchantée, au fond, réside dans son théâtre. La volonté de respecter le texte de Schikaneder, d’en restituer l’intégralité et la logique originelle, se heurte à l’incapacité de la mise en scène sonore à créer des personnages vivants. Les dialogues parlés, soit noyés dans un chuchotement vague façon cinéma d’auteur nordique, soit surexposés par les bruitages, n’arrivent jamais à faire exister des relations. L’action semble suspendue, comme figée dans une tentative académique de restitution.

Le paradoxe est cruel : en cherchant à redonner à l’œuvre sa vitalité originelle, l’enregistrement finit par la figer dans une abstraction. L’expérience sonore est intéressante, mais aride. L’utopie documentaire ne suffit pas à faire spectacle.

Ce projet aura le mérite d’ouvrir un débat nécessaire sur la restitution historisante de Die Zauberflöte. Certains choix musicologiques sont précieux, comme l’intégration de bruitages d’époque, le souci d’authenticité rythmique ou l’attention portée à certaines inflexions prosodiques dans les dialogues. Mais tout cela ne peut pallier la faiblesse générale de l’interprétation.

Privée d’une direction théâtrale forte, d’une distribution vocale habitée et d’un vrai souffle dramatique, cette Flûte enchantée reste au stade du laboratoire sonore. L’ambition est noble, mais la magie n’opère pas.

Visionner le clip vidéo
Acheter cet album
Accéder à la chaîne Altea Media I Love TV

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Broadway Rhapsody: Cyrille Dubois & ArteCombo

Maurice Ravel – The Complete Solo Piano Works - Seong-Jin Cho

Giacomo Puccini – Tosca • Eleonora Buratto (Tosca) • Jonathan Tetelman (Cavaradossi) • Ludovic Tézier (Scarpia) • Orchestra e Coro dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia • Daniel Harding