Marin Marais – Voix humaines. Pièces inédites pour flûte - Les Musiciens de Saint-Julien – François Lazarevitch

Marin Marais – Voix humaines. Pièces inédites pour flûte - Les Musiciens de Saint-Julien – François Lazarevitch

Un jalon pour le répertoire baroque français à la flûte, et l’un des disques essentiels de l’année pour les amateurs de musique ancienne.















Alpha Classics ALPHA1126
Note: 5/5



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L’image de Marin Marais reste intimement liée à la viole de gambe et à ses cinq Livres qui constituent encore aujourd’hui l’une des pierres angulaires du répertoire pour cet instrument. L’apparition récente de deux manuscrits contenant près de soixante-dix pièces pour flûte et continuo – dont cinquante-huit explicitement signées Marais – bouleverse cette lecture historiographique figée. Ces pages, longtemps oubliées, révèlent une facette méconnue du compositeur : celle d’un maître du discours mélodique pour instrument à vent, sachant adapter son art de l’ornementation et du phrasé à un medium tout en souffle et en flexibilité.

Le flûtiste François Lazarevitch, accompagné de ses complices des Musiciens de Saint-Julien, propose ici un choix de pièces issues de ce fonds redécouvert, complété de quelques transcriptions de pages mieux connues, mais toujours revisitées avec un regard de chercheur-musicien.

Dès les premières mesures de la Polonaise, qui ouvre le disque avec une légèreté ombrée de mélancolie, le ton est donné : il ne s’agira pas d’une simple illustration archéologique, mais d’une véritable recréation artistique. La flûte traversière de Lazarevitch se déploie avec une articulation souple, une diction quasi vocale qui fait immédiatement penser aux maîtres de la rhétorique baroque. Les lignes mélodiques respirent, jamais surchargées, mais jamais non plus réduites à une neutralité décorative.

L’accompagnement tissé par la viole de Lucile Boulanger et le théorbe ou la guitare d’Éric Bellocq agit comme un écrin dense et chatoyant. La réalisation du continuo frappe par sa précision harmonique, mais aussi par une capacité à varier les textures, évitant toute monotonie sur la durée du programme.

Le passage à la musette pour certaines pièces (notamment dans la Suite en ut majeur) apporte une saveur bucolique, presque pastorale. Ce choix osé – qui pourrait diviser – confère à certaines pages une couleur plus rude, un peu âpre, qui sied bien à des danses comme « La Sautillante », même si l’on pourra trouver cet effet moins convaincant dans des pièces plus élégantes comme la Sarabande.

L’une des grandes réussites de cet enregistrement réside dans la diversité des climats affectifs que parvient à faire naître Lazarevitch. La Symphonie introductive de la Suite en mi mineur déploie un frémissement intérieur particulièrement réussi. La « Gracieuse Sarabande » fait montre d’un balancement poétique, sans exagération expressive, mais avec cette capacité à laisser respirer chaque nuance.

Dans la Plainte, adaptée d’un manuscrit écossais, la flûte atteint un sommet d’émotion retenue : la ligne mélodique se fait pure, presque nue, avec un accompagnement minimaliste qui met d’autant plus en valeur la maîtrise du souffle et de la dynamique.

Le sommet du disque est sans doute atteint avec les « Voix humaines », où Lazarevitch livre une lecture étonnamment douce, presque fragile, qui renouvelle totalement l’écoute de cette pièce emblématique du répertoire pour viole. Loin de singer la version originelle, cette transcription pour traverso explore d’autres couleurs, plus éthérées, jouant sur le fil de l’émotion sans tomber dans l’effet facile.

Lucile Boulanger, quant à elle, reste fidèle à la version pour viole avec l’intensité et la précision qu’on lui connaît. Sa sonorité dense et veloutée contraste idéalement avec la transparence du traverso.

Si l’intimisme domine, l’énergie ne manque pas. Les gigues des différentes Suites débordent de vitalité rythmique, avec des tempi vifs mais jamais précipités. La Gigue finale de la Suite en sol mineur, en particulier, déploie un allant irrésistible. Le Rondeau et la Musette qui l’accompagnent montrent le même souci du détail rythmique, toujours au service du caractère de chaque danse.

On saluera également la lisibilité du discours dans des pièces plus complexes comme le Caprice ou Sonate, où la diversité des épisodes est caractérisée avec beaucoup de finesse.

La captation, fidèle à la tradition du label Alpha, offre un équilibre très naturel entre les instruments. La flûte respire, la viole sonne sans surcharge de basses, et le théorbe reste présent sans jamais dominer. La réverbération, discrète mais enveloppante, crée un sentiment d’intimité sans étouffer les dynamiques.

Par son importance musicologique – révélant un pan oublié du corpus instrumental de Marais – et par la qualité de son exécution, cet album s’impose comme une parution majeure dans le domaine de la musique baroque française. François Lazarevitch et son ensemble signent ici non seulement un travail de pionnier, mais aussi un objet d’écoute séduisant et profond, à la fois nourri de rigueur historique et de liberté artistique.

On attend désormais avec impatience que d’autres interprètes se saisissent de ces partitions, pour faire vivre ce répertoire encore vierge de toute routine interprétative.

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