Johannes Brahms - Quatuors avec piano n°2 et n°3 - Krystian Zimerman, Maria Nowak, Katarzyna Budnik et Yuya Okamoto
Johannes Brahms - Quatuors avec piano n°2 et n°3 - Krystian Zimerman, Maria Nowak, Katarzyna Budnik et Yuya Okamoto
Un enregistrement majeur pour ceux qui savent écouter le détail dans l’équilibre, la retenue dans l’émotion, la pensée dans l’expression. Zimerman, sans jamais s’imposer, tire vers lui les forces vives d’un Brahms revivifié, rajeuni, presque insouciant par moments, toujours habité. C’est une musique de chambre où l’intellect et la sensibilité se rejoignent, sans excès, sans fadeur. Un sommet moderne dans un répertoire où la tradition pèse lourd.
Deutsche Grammophon
Note: 4,5/5
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En choisissant de ne pas graver l’Opus 25, pourtant le plus emblématique et souvent le plus spectaculaire des trois quatuors avec piano de Brahms, Krystian Zimerman prend délibérément un chemin de traverse. Il opte pour les deux œuvres les plus introspectives du corpus, les Quatuors n°2 en la majeur op. 26 et n°3 en ut mineur op. 60, et propose une lecture à contre-courant des canons expressifs dominants. Le geste n’est pas anodin : il témoigne d’une conception hautement personnelle du Brahms chambriste, où la force expressive naît moins de la véhémence que d’une écoute interne, d’une tension feutrée, d’une intelligence des contrastes formels et d’un refus du pathos facile.
Zimerman, qui enregistre ici pour la première fois ces œuvres majeures, déploie un jeu pianistique d’une rare sophistication sonore, où le toucher moiré, l’art des transitions, la gestion des résonances et la capacité à dialoguer sans surplomber trouvent leur pleine expression. Sa sonorité ample mais jamais écrasante permet aux cordes de respirer, et surtout de jouer leur rôle dans un tissu polyphonique où aucune ligne n’est sacrifiée.
Loin d'imposer une vision dominatrice, le pianiste organise la pensée musicale, guide sans contraindre, laissant à ses partenaires toute latitude pour faire exister leurs voix. Cette architecture en retrait, presque orchestrale dans son dessein global, donne naissance à une texture d’une homogénéité remarquable, où les dialogues sont fluides, les transitions organiques, les climax intégrés dans une trajectoire d’ensemble qui évite tout effet isolé.
Le choix des partenaires n’est pas anodin. Yuya Okamoto, nouveau violoncelliste des Ébène, impressionne ici par une sonorité mate mais richement timbrée, où la clarté de l’émission ne se fait jamais au détriment de la profondeur. Son Andante de l’opus 60, soulevé par un phrasé sobre et tendu, touche au plus juste, sans surcharge affective. L’altiste Katarzyna Budnik, pilier du Sinfonia Varsovia, ancre la texture centrale avec une présence à la fois stable et subtile. Quant à Maria Nowak, elle apporte au violon une luminosité nerveuse, jamais lyrique au sens opératique, mais toujours dans la tension.
Le résultat est une formation chambriste dans le sens le plus exigeant du terme : chacun écoute l’autre, chacun module son intervention selon le souffle collectif, sans jamais tirer la couverture à soi. Cette éthique de la musique de chambre produit une lecture d’une cohérence rare.
Composé entre 1855 et 1875, l’Opus 60 est souvent décrit comme le plus personnel des trois quatuors, empreint du désespoir d’un Brahms encore hanté par la figure de Schumann. Ce climat tragique, avec ses lignes brisées, ses tensions harmoniques, ses ruptures d’élan, est ici traité avec une pudeur magnifique. Zimerman et ses partenaires évitent la grandiloquence, préférant la densité du tissu, l’ambiguïté des affects, le suspens entre les phrases, plutôt que des contrastes trop appuyés.
Le premier mouvement progresse sans urgence mais avec une tension constante, comme suspendu dans une hésitation dramatique. Le Scherzo, souvent traité comme un galop noir, prend ici une allure dansante et menaçante à la fois, décalée, presque sarcastique. L’Andante est sans doute le sommet émotionnel du disque, dans une interprétation retenue, où chaque inflexion du violoncelle semble née de l’intérieur du silence. Le final, sans brutalité, referme la parenthèse avec une sombre détermination, comme une porte que l’on claque en silence.
Moins tragique que son jumeau en ut mineur, le Quatuor en la majeur révèle ici tout son panache structuré, sa rhétorique expansive et ses élans rhapsodiques. Zimerman en restitue la richesse de textures sans jamais verser dans l’emphase. Le premier mouvement, de vaste dimension, prend le temps d’installer ses idées avec une clarté quasi symphonique. Le Poco adagio, d’une profondeur inattendue sous des dehors lumineux, est une réussite majeure : les cordes s’y élèvent avec un lyrisme souterrain, ponctué par un piano qui éclaire plus qu’il ne commente.
Mais c’est dans le final que l’interprétation atteint une légèreté rare : le raccourci rythmique, la malice des accentuations, le swing sous-jacent font de cette page une fantaisie rustique, un peu canaille, totalement déliée, sans aucun académisme. Une leçon de fraîcheur sans légèreté.
Ce double quatuor ne cherche pas à s’imposer comme référence en force : il ne rivalise ni avec la sensualité de Curzon, ni avec l'urgence inquiète de Richter, ni avec la vigueur de Rubinstein. Mais il propose une vision alternative, d’une grande cohérence esthétique, d’une beauté formelle absolue, pleine de fantaisie maîtrisée et de profondeur sans gravité.
C’est un Brahms lucide et tendre, qui réfléchit plus qu’il n’explose, qui digresse sans se perdre, qui murmure sans s’éteindre.
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