J. S. Bach : Concertos pour trois et quatre clavecins - Violaine Cochard, Bertrand Cuiller, Olivier Fortin, Pierre Gallon, Jean‑Luc Ho, Davor Krkljus – Le Caravansérail

J. S. Bach : Concertos pour trois et quatre clavecins - Violaine Cochard, Bertrand Cuiller, Olivier Fortin, Pierre Gallon, Jean‑Luc Ho, Davor Krkljus – Le Caravansérail

Un enregistrement lumineux et d’une rare cohérence où six clavecinistes d’exception réinventent les concertos pour trois et quatre clavecins de Bach avec complicité et virtuosité. Sous la direction souple de Bertrand Cuiller, cette lecture vivante et raffinée s’impose comme une référence contemporaine. Une réussite éclatante, tant musicale qu’artistique.















Ramée RAM2403
Note: 4,5/5


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Dans le répertoire baroque, les concertos pour plusieurs clavecins de Johann Sebastian Bach forment un corpus aussi singulier que méconnu. Par leur rareté sur les scènes, leur difficulté de coordination et leur exigence contrapuntique, ces œuvres restent un terrain réservé aux interprètes de haute volée et aux formations à la cohésion éprouvée. Le présent enregistrement, réunissant six des meilleurs clavecinistes de la scène française — Violaine Cochard, Bertrand Cuiller, Olivier Fortin, Pierre Gallon, Jean‑Luc Ho et Davor Krkljus —, offre une lecture qui, à bien des égards, renouvelle notre écoute.

La démarche est ici double : retrouver l'esprit de connivence qui présidait sans doute aux exécutions domestiques de Leipzig — Bach entouré de ses fils ou de ses élèves — tout en en faisant un objet discographique pensé dans les moindres détails. La direction de Bertrand Cuiller, d’une souplesse remarquable, fédère ces individualités fortes sans jamais les dissoudre, dans un geste d’ensemble d’une élégance et d’une cohérence rares.

Dès le Concerto BWV 1064 pour trois clavecins, c’est la clarté polyphonique qui frappe. Le premier mouvement impressionne par un équilibre subtil entre lignes individuelles et homogénéité d’ensemble. Le tissu contrapuntique, d’une densité redoutable, reste toujours lisible grâce à un phrasé d’une grande finesse, évitant les écueils du bavardage ou de la précipitation. L’Adagio central dévoile des teintes sombres, où les ombres harmoniques sont explorées avec un sens du rubato et une respiration qui relèvent de la musique de chambre autant que du concerto. Le final, plein d’élan sans brutalité, mêle virtuosité et lisibilité, dans un flux joyeux mais jamais brouillon.

Le BWV 1063, autre triptyque pour trois clavecins, se distingue par sa tension narrative parfaitement tenue. Le second mouvement, en style siciliano, est traité avec un balancement délicat, à la fois souple et précis, véritable respiration poétique au cœur de l’architecture. L’Allegro conclusif conjugue rigueur contrapuntique et jubilation motrice, faisant dialoguer les instruments avec une fluidité qu’on rencontre rarement dans ce répertoire.

Le sommet expressif du disque est peut-être atteint avec le célèbre Concerto BWV 1065 pour quatre clavecins, transcription que Bach réalisa à partir d’un concerto de Vivaldi pour quatre violons. C’est ici Pierre Gallon qui prend les rênes de la direction. Le geste vivaldien, loin d’être simplement imité, est intériorisé, restitué avec panache mais sans emphase. L’énergie est palpable, mais toujours canalisée dans une pulsation collective d’une clarté structurelle impressionnante. Les clavecins se répondent, s’imitent, se défient parfois, sans jamais sacrifier l’unité de l’ensemble.

Le choix du complément de programme mérite lui aussi d’être salué. La transcription pour quatre clavecins du Concerto brandebourgeois n° 3, réalisée par Bertrand Cuiller lui-même, referme le disque dans une atmosphère de fête. Cette relecture imaginative du chef-d’œuvre purement instrumental offre ici un terrain de jeu idéal aux quatre clavecinistes réunis sous l'impulsion de Jean-Luc Ho. Le premier mouvement, mené avec une autorité souple et une réactivité quasi féline, installe un climat tendu mais jamais raide. Quant au final, il virevolte dans une jubilation rythmique presque dionysiaque, donnant une impression d’improvisation collective magnifiquement maîtrisée.

D’un point de vue instrumental, l’utilisation de clavecins aux timbres différenciés contribue grandement à la lisibilité de l’ensemble. Chaque claveciniste conserve sa personnalité sonore, et l’on identifie sans peine, à l’écoute, les nuances d’articulation ou de toucher de chacun. La prise de son, elle, prête davantage à discussion. Bien que claire et spacieuse, elle accentue les registres aigus des clavecins et laisse le centre de l’image sonore légèrement dépeuplé, ce que le renforcement des graves (violoncelle et contrebasse) ne parvient qu’en partie à compenser. Certains regretteront également une certaine platitude de la dynamique d’ensemble, liée à un mixage manquant de relief. Toutefois, cela ne nuit pas à la beauté des équilibres instrumentaux, et l’écoute au casque en particulier révèle une belle profondeur.

Il faut saluer enfin la cohérence artistique globale du projet : il ne s’agit pas d’une simple démonstration collective, mais bien d’une proposition musicale pensée, nuancée, vivante. Là où d’autres versions sombrent dans la démonstration ou le didactisme, celle-ci convainc par une approche vivace, presque chambriste dans l’esprit, qui privilégie la souplesse, la respiration et l’écoute mutuelle. Cette lecture s’inscrit dans une tradition française d’interprétation raffinée, jamais affectée, toujours maîtrisée.

Ce disque marque une étape importante dans la discographie des concertos pour plusieurs clavecins de Bach. La hauteur de vue artistique, la complicité entre solistes, la qualité d’invention musicale à chaque mesure et l’intelligence de la relecture (notamment la transcription finale) en font un enregistrement majeur de la saison. On y entend non seulement un Bach lumineux, joueur, virtuose, mais aussi un collectif d’interprètes qui sait faire vibrer la musique ancienne avec une modernité sans clinquant.

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