Florian Noack – Tales of the Jazz Age

Florian Noack – Tales of the Jazz Age

Florian Noack explore avec finesse et audace l’effervescence musicale des Années folles, mêlant jazz, cabaret et musique savante dans un récital pianistique riche en nuances et en surprises. Tales of the Jazz Age séduit par son équilibre subtil entre érudition et swing, porté par une interprétation profondément vivante et sensible.















La Dolce Volta LDV137
Note: 4,5/5


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Avec Tales of the Jazz Age, Florian Noack nous invite à un voyage dans ce que la musique savante et populaire a produit de plus perméable, de plus impertinent aussi, dans les années 1920–30. Mais ce récital n’est ni pastiche, ni divertissement nostalgique. C’est une réflexion subtilement construite autour de la porosité entre deux mondes : celui du concert et celui du cabaret, de Broadway et des salons européens. Le titre, emprunté à Fitzgerald, donne le ton : l’élégance des formes dissimule un kaléidoscope d’instabilités, de rythmes effervescents, de mélancolies urbaines.

Le programme, bien que traversé d’humour et de clins d’œil, obéit à une logique de récit : celle d’un pianiste qui interroge la frontière entre les musiques de genre. Il s’ouvre sur le Charleston de James P. Johnson, symbole rythmique d’une époque, pour mieux plonger dans les harmonies vaporeuses de Fats Waller (Squeeze Me, Bye Bye Baby), recréées ici dans des transcriptions personnelles d’une rare finesse.

Loin du simple jeu d’adaptations, ces relectures affirment une écriture pianistique consciente de son héritage : la main gauche martèle souvent des figures quasi-stravinskiennes, la main droite cisèle un discours jamais décoratif, toujours structuré. L’arrangement du Five O’Clock Foxtrot de Ravel par Gil-Marchex est une révélation en soi : à la fois respectueux du matériau et sublimé par un phrasé souple, on y perçoit l’ombre de Ravel, certes, mais aussi celle de Gershwin et d’une modernité filtrée par le velours.

Noack excelle dans ce jeu d’équilibre. Son approche ne cède ni à l’hédonisme facile du swing, ni au sérieux compassé du répertoire classique. Dans les Mouvements perpétuels ou la Valse de Poulenc, il trouve un ton à la fois incisif et flottant, jouant des dissonances légères et d’un legato suspendu, comme s’il restituait le parfum d’une époque sans en revêtir le costume. Il ne cherche pas à mimer les phrasés jazzistiques, mais à faire entendre la manière dont ces influences irriguent l’écriture. C’est particulièrement vrai dans Isoldina de Clément Doucet – pièce devenue rare au disque – dont il restitue toute l’ironie stylisée, sans rien affadir de sa filiation wagnérienne.

Gershwin n’est pas en reste, avec Slap That Bass et How Long Has This Been Going On ?, où Noack dose admirablement les ruptures rythmiques et les résonances harmoniques. On y perçoit moins la brillance attendue des versions de concert que le caractère intime et teinté de second degré de la musique d’entre-deux-guerres.

Le disque ne se complaît jamais dans l’éclectisme décoratif. L’inclusion de Morphium de Spoliansky ou des pages de Weill (Kleine Dreigroschenmusik) donne à l’ensemble une coloration expressionniste inattendue, presque amère. La main de Noack s’y fait plus tendue, plus tranchante. Il y fait entendre l’héritage d’une Mitteleuropa au bord du gouffre, où le divertissement flirte avec la déchirure.

Même impression dans la Suite dansante en jazz d’Erwin Schulhoff, sommet du disque. Il en révèle les lignes acérées, l’instabilité rythmique, la sensualité trouble. Chaque mouvement – valse, tango, slow, fox-trot – est traité avec un recul subtil, qui laisse apparaître, sous l’élégance apparente, une dissonance sourde, presque cynique. Cette lecture, ni lisse ni ironique, rappelle combien cette œuvre était en avance sur son temps – et combien elle exige de son interprète un sens aigu de la forme et de l’ambiguïté.

Le disque se clôt sur Suicide in an Airplane de Leo Ornstein, apogée bruitiste et dada de ce récital. Noack y trouve une brutalité sèche, sans théâtralité. Il en maîtrise les contrastes dynamiques avec une autorité impressionnante, dans une lecture qui refuse l’effet spectaculaire pour privilégier la tension continue. Le martèlement du grave, la crispation rythmique, l’économie de pédale en font un moment hypnotique, presque suffocant. Une fin aussi abrupte qu’idéale.

Capté dans la Kammermusiksaal de la WDR à Cologne, l’enregistrement bénéficie d’une image sonore feutrée, intime, avec un piano bien centré, des médiums généreux, mais des aigus un peu estompés. Ce parti-pris de douceur sied au programme, même s’il prive parfois certaines attaques d’un impact plus mordant. On aurait souhaité, dans Schulhoff ou Ornstein, davantage de tranchant. Mais cette ambiance "salon" participe aussi du charme global.

Tales of the Jazz Age n’est pas un album de plus sur les liens entre musique savante et jazz. C’est un essai poétique, subtilement critique, sur un moment charnière de l’histoire musicale. Florian Noack y confirme ce que ses précédents enregistrements laissaient entrevoir : il est un pianiste conceptuel au sens le plus noble, un artisan de la forme, et un musicien habité par une profonde conscience historique.

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