Chopin intime – Justin Taylor - Frédéric Chopin, Vincenzo Bellini - Pianino Pleyel (1839)

Chopin intime – Justin Taylor - Frédéric Chopin, Vincenzo Bellini - Pianino Pleyel (1839)

Avec Chopin intime, Justin Taylor réinvente le romantisme au clavier sur un pianino Pleyel d’époque, offrant une lecture feutrée, introspective et d’une rare poésie. Loin du spectaculaire, ce disque révèle un Chopin de l’ombre, fragile et profondément humain. Un enregistrement d’une finesse troublante.















Alpha Classics ALPHA1132
Note: 4/5


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Dès les premières mesures de cet enregistrement singulier, le ton est donné : Chopin intime ne cherche ni la séduction immédiate ni la démonstration virtuose. Il s’agit ici d’un voyage — non pas dans le spectaculaire romantisme chopinien souvent servi par le piano moderne, mais dans la sphère privée de son imaginaire sonore, celle que la mécanique feutrée d’un pianino Pleyel de 1839 permet de ressusciter avec une précision troublante. En retrouvant les conditions techniques de l’instrument que Chopin utilisait à Majorque, Justin Taylor nous propose moins un enregistrement qu’un espace d’écoute profondément immersif.

Loin d’être un simple support, l’instrument choisi impose sa voix propre. La tessiture réduite, la résonance plus brève, la timbralité feutrée du pianino donnent à chaque note une gravité poétique qui contraint l’interprète à renoncer à l’éloquence romantique classique. Justin Taylor en fait une vertu. Plutôt que de lutter contre les limites dynamiques de l’instrument, il compose avec elles, sculptant le silence autant que le son. Le résultat est une texture d’une grande cohérence : les phrases s’inscrivent dans un temps plus lent, le rubato devient respiration organique, les contrastes s’effacent au profit d’un modelé souple, toujours sous tension, mais jamais appuyé.

Les Nocturnes sont à l’image du projet : retenus, filtrés, presque murmurés. L’opus 9 n°1 se déploie dans une atmosphère d’extrême délicatesse, chaque nuance semblant surgir d’un repli intérieur. Le chant ne s’élève jamais au-dessus de la texture : il flotte, suspendu. Là où tant d’interprètes cherchent l’élan ou la courbe dramatique, Taylor choisit l’effacement progressif, la confidence plutôt que le discours. Il en résulte une expressivité paradoxalement plus poignante, car privée d’effets.

Les Mazurkas révèlent un art du phrasé remarquablement naturel : pas de stylisation excessive, mais une mélancolie mobile, presque bucolique, qui suggère plus qu’elle ne déclare. Loin de l’effet folklorisant, Justin Taylor insuffle à ces danses une gravité discrète, portée par des inflexions souples et des transitions harmoniques toujours claires.

Dans les Préludes, l’équilibre est plus complexe à trouver, et c’est là que le choix de l’instrument montre ses forces et ses failles. Les miniatures les plus lyriques (n°4, n°6, n°15) bénéficient d’une sonorité qui les rapproche du Lied sans paroles : elles chantent sans emphase, avec une pudeur bouleversante. D’autres — comme le prélude n°18, habituellement tumultueux — perdent un peu de leur impact dramatique, le pianino peinant à contenir la poussée rythmique et l’énergie syncopée que demande cette page. Taylor contourne habilement l’obstacle par une gestion fine des dynamiques décroissantes, optant pour une désagrégation expressive plutôt qu’un climax sonore.

L'étude op. 25 n°1, surnommée « harpe éolienne », trouve dans cet enregistrement une forme inédite d’aérien. Les arpèges ne scintillent pas : ils ruissellent. Taylor parvient à dissoudre la matière sonore sans jamais la faire disparaître. Le toucher est d’une légèreté stupéfiante, mais toujours lisible. L’étude ne devient pas un exercice, mais une illusion sonore — presque un mirage.

Le sommet poétique de l’album n’est peut-être pas chez Chopin. Dans la transcription très personnelle de Casta Diva de Bellini, Justin Taylor semble toucher à l’essence de son projet : retrouver, au sein du piano ancien, une voix humaine, fragile, incertaine, mais sincère. La ligne mélodique s’élève avec pudeur, jamais triomphante, et laisse entendre la fragilité du souffle autant que celle de l’intonation. Ce n’est pas un hommage au bel canto : c’est une transmutation pianistique d’une aria intérieure.

Le grand mérite de cet album est de refuser toute ostentation. Il n’offre ni grandes architectures ni triomphes pyrotechniques. À rebours de la tradition d’un Chopin spectaculaire, il en propose une lecture décentrée, filtrée par le voile du temps, par un instrument d’un autre siècle, et surtout par une écoute fondamentalement poétique.

C’est un disque qui demande à être entendu à bas volume, dans une attention flottante, presque hypnotique. Rien n’y est immédiat. Tout y est révélé progressivement.

Justin Taylor signe un enregistrement profondément cohérent, magnifiquement réalisé sur le plan esthétique, et porté par une vision claire de l’œuvre de Chopin : celle d’un compositeur du murmure, de l’ellipse, du souffle intérieur. Si l’on peut regretter l’absence d’une tension dramatique plus poussée dans certains Préludes ou Mazurkas, c’est au profit d’un raffinement sonore exceptionnel, peu courant dans les enregistrements contemporains. Pour les amateurs de Chopin dans la veine héroïque, le manque d’ampleur pourra déconcerter. Pour les autres, cet album est un trésor discret — une leçon d’écoute.

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