Charles Gounod - Faust - Version originale de 1859 - Production Opéra de Lille
Charles Gounod - Faust - Version originale de 1859 - Production Opéra de Lille
Cette production de Faust, tout en sobriété et en intelligence, réussit un rare équilibre : retrouver l’esprit de la création de 1859 sans sombrer dans l’archéologie, et proposer une lecture dramatique d’une grande cohérence, servie par une équipe artistique engagée et sensible.
Production Opéra de Lille / Palazzetto Bru Zane - Opéra de Lille - Mai 2025
Note: 4,5/5
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Un retour aux origines... mais pas au passé
C’est un Faust peu commun qu’a proposé l’Opéra de Lille en ce mois de mai 2025 : la version originale de 1859, telle que Gounod l’imagina pour le Théâtre-Lyrique, avec dialogues parlés, dans une esthétique bien éloignée du Grand-Opéra que l’œuvre allait devenir une décennie plus tard. Un projet porté par le Palazzetto Bru Zane, dont la collaboration avec l’Opéra de Lille porte ici ses fruits dans une relecture fidèle à l’esprit de la création, mais loin d’un simple pastiche historiciste. Car ce Faust, tel que mis en scène par Denis Podalydès et dirigé par Louis Langrée, est avant tout un objet théâtral à part entière, où l’équilibre entre musique, texte et geste dramatique est repensé avec une intelligence rare.
Ce qui frappe d’emblée, c’est la radicalité douce de la mise en scène. Podalydès, fidèle à sa formation comédienne et à son attachement à la parole, inscrit le récit dans une temporalité abstraite, où le réel et le fantasme se croisent sans effets spectaculaires. La scénographie d’Éric Ruf, faite de murs mobiles, de structures modulables et de matières boisées, évoque plus un espace mental qu’un cadre réaliste. Le laboratoire de Faust ? Un lieu nu, presque sacré. La chambre de Marguerite ? Un écrin flottant de solitude.
Ce dépouillement assumé s’accompagne d’un traitement métathéâtral du récit : les masques conçus par Louis Arène, les apparitions stylisées de Méphistophélès, les jeux d’ombres et de lumières de Bertrand Couderc, tout converge vers un Faust intérieur, plus psychologique que mythologique, où le pacte se scelle dans l’âme davantage que dans le sang.
Loin de céder à la tentation du folklore faustien (ni alchimie bouillonnante, ni sabbat grandiloquent), Podalydès tisse une lecture centrée sur la fragilité des personnages, leur errance morale, leur solitude. Le prologue, souvent négligé, prend ici tout son sens : Faust n’est pas un savant en quête de jeunesse, mais un homme brisé par le doute, au seuil de la mort – une vision proche de Goethe, sans tomber dans la didactique.
Les dialogues parlés, admirablement intégrés, sont dits avec une diction soignée, dans une fluidité qui rappelle le théâtre de Hugo ou de Musset. Un vrai pari, souvent perdu ailleurs, mais ici pleinement réussi.
À la tête de l’Orchestre National de Lille, Louis Langrée livre une lecture d’une rare intelligence structurelle. Dès l’introduction, il impose une tension souterraine, un flux sinueux qui évite tout emphase. Le chef refuse les contrastes trop marqués, préférant une clarté de texture et une souplesse narrative, en cohérence avec la théâtralité du propos.
La grande réussite de Langrée réside dans sa capacité à laisser respirer la partition : le chœur est toujours intelligible, les lignes secondaires sont mises en valeur sans jamais diluer l’impact dramatique. On pense notamment à la scène du jardin, d’une délicatesse presque mozartienne, ou encore à la scène de l’église, qui prend ici un accent grégorien, tendu mais contenu.
On pourra toutefois reprocher à cette approche un certain manque de fièvre dans les scènes collectives (la kermesse, la scène de l’église, la scène finale), où l’on aurait aimé davantage de nerf, de violence latente, de noirceur sonore. La tension dramatique, bien construite sur le plan dramaturgique, ne trouve pas toujours son pendant orchestral.
Les musiciens de l’Orchestre National de Lille se montrent néanmoins d’une belle discipline, malgré quelques décalages ponctuels chez les cuivres. Le chœur, préparé par Mathieu Romano, fait montre d’une excellente homogénéité, notamment dans les interventions pianissimo, souvent négligées.
L'incarnation de Julien Dran du savant vieillissant devenu jeune homme est marquée par une grande honnêteté dramatique. Son jeu parle plus que ses éclats vocaux. On sent une volonté de construire un personnage nuancé, hésitant, parfois perdu. Vocalement, cependant, si l’émission reste élégante, le volume est par moments insuffisant pour dominer les ensembles, et certains aigus paraissent prudents. Son “Salut, demeure chaste et pure” manque de cette extase suspendue qui fait frissonner. Un Faust sensible, mais qui ne transcende pas le rôle.
Vannina Santoni, sans conteste, la révélation de cette production. Dès son apparition, elle capte la lumière et l’écoute. Sa Marguerite, plus femme que jeune fille, échappe à toute mièvrerie. Le timbre est clair, souple, porté par une ligne de chant soignée, un sens rare de la couleur. L’air des bijoux est virtuose sans être mécanique, mais c’est surtout dans les scènes tragiques qu’elle bouleverse : la scène de l’église, puis celle de la prison, sont chantées avec un mélange de révolte contenue et d’abandon déchirant. Une Marguerite à marquer d’une pierre blanche.
Jérôme Boutillier, dans un rôle souvent caricaturé, il choisit la voie de la subtilité. Son Méphisto, plus insinuant que démoniaque, rappelle les figures du théâtre baroque : manipulateur, élégant, presque séduisant. La voix n’a pas la noirceur d’un baryton-basse, mais la diction est limpide, le chant racé. Son “Le veau d’or” est dit plus que projeté, ce qui pourra décevoir les amateurs de flamboyance, mais l’approche a sa logique, fidèle à la mise en scène. Un Méphisto cérébral, qui gagne en intensité au fil de la soirée.
Lionel Lhote livre une solide prestation, vocale et dramatique. Timbre noble, phrasé clair, belle présence scénique. Son air “Avant de quitter ces lieux” est chanté sans affectation, avec justesse. Peut-être un peu trop réservé dans ses adieux à Marguerite, mais un pilier vocal solide.
Les rôles secondaires sont tous tenus avec soin : Juliette Mey en Siebel charme par sa fraîcheur et la clarté de sa diction, Marie Lenormand campe une Dame Marthe espiègle sans caricature, Anas Séguin donne à Wagner une silhouette crédible.
Cette production de Faust, tout en sobriété et en intelligence, réussit un rare équilibre : retrouver l’esprit de la création de 1859 sans sombrer dans l’archéologie, et proposer une lecture dramatique d’une grande cohérence, servie par une équipe artistique engagée et sensible.
Ce Faust n’est pas spectaculaire – et c’est précisément sa force. Il n’éblouit pas, il trouble. Il ne séduit pas par l’esbroufe, mais par la finesse du regard porté sur les personnages. Il ne se regarde pas comme un opéra d’ornement, mais s’écoute comme une confidence douloureuse.
On sort de la salle avec une impression rare : celle d’avoir vu un vrai opéra de parole, où le chant, le texte, le geste et le silence marchent enfin main dans la main.
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