Charles Koechlin : Symphonie n°1, Op. 57bis – Au loin, Op. 20 – 3 Mélodies, Op. 17 - Patricia Petibon – Württembergische Philharmonie Reutlingen – Ariane Matiakh

Charles Koechlin : Symphonie n°1, Op. 57bis – Au loin, Op. 20 – 3 Mélodies, Op. 17  - Patricia Petibon – Württembergische Philharmonie Reutlingen – Ariane Matiakh

Un enregistrement essentiel pour comprendre l’univers de Koechlin, à la fois méditatif, rigoureux et visionnaire. Interprétation fidèle, intelligemment construite, parfois un peu trop sobre dans le chant, mais passionnante de bout en bout.











Capriccio C5533
Note: 4/5


On l’a longtemps relégué dans les marges du répertoire français, entre un post-franckisme austère et un symbolisme musical teinté de mysticisme païen. Charles Koechlin, figure inclassable du premier XXe siècle, revient sur le devant de la scène discographique avec cette Première Symphonie enregistrée pour la première fois dans sa version complète et orchestrée. Ce jalon fondamental dans l’œuvre du compositeur est ici encadré par un poème symphonique rare (Au loin) et un triptyque vocal orchestré de manière posthume, les Trois Mélodies.

Conçue entre 1911 et 1920 à partir du Deuxième Quatuor à cordes (achevé en 1916), cette symphonie d’environ 40 minutes est un fascinant travail de transformation cyclique : les motifs initiaux subissent un constant développement thématique, dans un esprit voisin de celui de Franck ou d’Albéric Magnard, mais avec une flexibilité harmonique et une palette orchestrale nettement plus moderne.

Le premier mouvement (Adagio), long développement quasi-récitatif, s’ouvre sur une respiration suspendue où les bois, les cordes graves et les cors instaurent une tension qu’aucun climax ne résoudra vraiment. C’est là tout le paradoxe de Koechlin : une musique qui s’édifie sans jamais exploser, dans une temporalité intérieure. On perçoit déjà un écho de cette musique de l’infini que Bruckner aurait pu écrire s’il avait vécu à l’ère debussyste.

Le Scherzo qui suit, étrange et animé, semble évoquer des scènes sylvestres ou oniriques. Il procède par touches, accumulations de figures rythmiques et jeux de timbres : un laboratoire d’orchestration. Le chef Ariane Matiakh, d’une précision remarquable, sait rendre lisible cette foison de textures sans jamais figer le flux.

Le bref Andante qui sert de troisième mouvement est l’un des moments les plus touchants du cycle. Là où d’autres compositeurs auraient cédé au lyrisme sentimental, Koechlin construit un mouvement d’une sobriété presque archaïque, aux harmonies modales étrangement nues. L'orchestre s'y réduit à une fine dentelle instrumentale où les contrechants des altos ou des cors murmurent dans le vide.

Le final, véritable synthèse formelle et expressive des précédents mouvements, convoque toute la matière motivique pour l’élever à une sorte de calme majestueux. Ce n’est pas une apothéose triomphante, mais une conclusion naturelle, comme si la musique, après tant de détours, trouvait enfin son point d’équilibre.

Dans Au loin (1900), Koechlin donne à entendre une mer sonore encore marquée par César Franck, mais déjà parcourue de brumes debussystes. Cette pièce unique est une méditation orchestrale sans drame, purement contemplative, qui pourrait passer pour un prélude à La Mer ou au Gibet des Miroirs. Ce que l’on croyait chez Koechlin comme faiblesse (le manque de tension dramatique) devient ici une force : un refus du spectaculaire au profit d’un discours poétique, visionnaire, presque écologique avant l’heure.

L’interprétation en restitue bien les nappes mouvantes, les transitions floues entre les pupitres, les longues tenues qui semblent provenir d’un autre monde. Une sorte de musique d’outre-son, plus proche de l’état de rêverie que du récit musical.

Le cycle vocal Trois Mélodies, composé dans les années 1895-1900 et orchestré récemment à partir d’esquisses et de suggestions laissées par le compositeur, pose une question essentielle : que gagne-t-on à faire résonner ces textes de Leconte de Lisle et Heredia dans un grand orchestre ? La réponse apportée ici est nuancée.

Patricia Petibon fait preuve d’une vocalité très contrôlée, parfois presque trop réservée pour le dramatisme latent de ces poèmes. Sa diction est ciselée, son phrasé respectueux du texte, mais l’absence d’abandon expressif peut frustrer ceux qui attendent une incarnation plus charnelle. L’orchestre, finement coloré, tisse un environnement délicat mais n’évite pas toujours l’impression d’un cadre un peu rigide, voire trop ample pour des miniatures pensées initialement pour piano et voix.

Il convient de saluer ici le travail musicologique remarquable d’Ariane Matiakh, qui ne se contente pas de diriger mais restitue un corpus orphelin d’interprétation et d’édition. À une époque où l’on confond souvent exhumation avec simple déchiffrage, cette gravure offre une vision cohérente, sensible et informée du langage koechlinien.

L’orchestre allemand s’y montre d’une précision louable, sans clinquant, avec un vrai sens du phrasé et une écoute attentive entre pupitres. L’enregistrement, ample et naturel, restitue la profondeur du spectre sonore sans excès de réverbération.

Ce disque est bien plus qu’une curiosité discographique : c’est un événement musicologique, une interprétation de référence pour un pan entier de l’œuvre de Koechlin encore largement sous-estimé. L’absence d’épanchement dans la partie vocale pourra diviser, mais l’ossature orchestrale, la direction musicale et la cohérence d’ensemble imposent cette réalisation comme l’un des jalons essentiels de la redécouverte du compositeur.

Une écoute indispensable pour qui s’intéresse à la modernité française hors des sentiers balisés par Ravel, Debussy ou Dukas.


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

Broadway Rhapsody: Cyrille Dubois & ArteCombo

Maurice Ravel – The Complete Solo Piano Works - Seong-Jin Cho

Giacomo Puccini – Tosca • Eleonora Buratto (Tosca) • Jonathan Tetelman (Cavaradossi) • Ludovic Tézier (Scarpia) • Orchestra e Coro dell'Accademia Nazionale di Santa Cecilia • Daniel Harding