Massenet - Grisélidis - Jean-Marie Zeitouni - Orchestre National Montpellier Occitanie - Chœur de l'Opéra National Montpellier Occitanie

Massenet - Grisélidis - Jean-Marie Zeitouni - Orchestre National Montpellier Occitanie - Chœur de l'Opéra National Montpellier Occitanie

Un enregistrement soigné et élégant, qui ravira les passionnés de Massenet mais pourrait laisser les autres sur une impression mitigée.
















Palazzetto Bru Zane BZ 1058
Note : 4/5

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Le répertoire lyrique de Jules Massenet ne se limite pas aux grands succès que sont Manon, Werther ou Thaïs. Parmi ses ouvrages moins connus figure Grisélidis, une "légende lyrique" créée en 1901 à l'Opéra-Comique, qui repose sur un canevas médiéval maintes fois adapté, notamment par Vivaldi et Scarlatti sous le titre Griselda. Cette nouvelle parution, portée par une distribution solide et une direction musicale raffinée, permet de redécouvrir une œuvre qui, si elle n'atteint pas la profondeur dramatique des chefs-d’œuvre du compositeur, recèle néanmoins des beautés indéniables.

Composé en plusieurs étapes, Grisélidis reflète une gestation hachée qui nuit à son homogénéité dramatique. Le premier acte, pastoral et contemplatif, peine à captiver par son manque de tension, avec des numéros qui semblent parfois conçus comme de simples "échauffements" avant l'action véritable. Ce n'est qu'à partir du deuxième acte que l'on retrouve un Massenet plus inspiré, notamment dans l'air de Grisélidis, "La mer! Et sur les flots toujours bleus", où l'écriture vocale atteint une intensité expressive comparable aux moments les plus lyriques de Manon.

L'un des attraits de la partition réside dans son habile jeu de contrastes. Massenet oppose avec malice les sphères célestes et démoniaques, superposant patter-songs et chœurs en arrière-plan dans une écriture d'une rare fluidité. L'intégration du ballet au déroulement de l'intrigue est également réussie, évitant l'effet d'insert décoratif parfois reproché aux ouvrages lyriques de la Belle Époque. Cependant, malgré ces qualités, l’opéra souffre d’un manque de relief psychologique. Là où Werther ou Manon explorent des dilemmes existentiels profonds, Grisélidis met en scène des personnages aux motivations univoques : une héroïne dont la vertu est mise à l’épreuve, un mari absent, un Diable plus malicieux que véritablement inquiétant. Cette linéarité dramatique limite l’implication émotionnelle du spectateur.

En somme, Grisélidis fonctionne davantage par éclats que dans une vision d’ensemble. Chaque situation trouve chez Massenet la couleur musicale qui lui convient, avec une sincérité indéniable et un raffinement harmonique souvent subtil. Mais ce soin porté à chaque instant se fait au détriment d’un arc dramatique plus puissant, ce qui empêche l'œuvre de s’imposer avec la force émotionnelle de ses illustres aînées.

La distribution réunie pour cet enregistrement brille par sa cohérence et la qualité du français chanté, particulièrement intelligible. Dans le rôle de Grisélidis, Vannina Santoni déploie un timbre pur et expressif, bien que sa projection manque parfois de l’ampleur nécessaire pour transcender les limites du personnage. Une voix plus charismatique aurait sans doute permis de donner davantage de relief à cette héroïne dont la noblesse d’âme ne suffit pas à générer un attachement profond.

Face à elle, Tassis Christoyannis s’impose avec aisance dans le rôle du Diable, un personnage oscillant entre ironie mordante et fausse bonhomie. Son interprétation, d’une élégance parfaite, évite l’écueil de la caricature et confère au rôle une dimension quasi-méphistophélique qui enrichit la dramaturgie. À ses côtés, Julien Dran incarne un Alain lumineux et juvénile, même si son interprétation reste plus appliquée qu’inspirée. Quant à Thomas Dolié, il peine à s’imposer en Marquis, moins par défaut de musicalité que par le fait d’un rôle aux contours dramatiques peu affirmés. Le reste de la distribution contribue efficacement à la vitalité de l’ensemble, avec notamment de belles interventions d'Antoinette Dennefeld et Adèle Charvet.

L'Orchestre National Montpellier Occitanie, sous la baguette de Jean-Marie Zeitouni, sert la partition avec un sens affiné des couleurs orchestrales. L’équilibre entre voix et orchestre est parfaitement maîtrisé, et la prise de son d'une grande clarté permet d'apprécier chaque détail de l’orchestration. La lecture de Zeitouni privilégie la fluidité et la lisibilité, s’attachant davantage à sublimer l’instant musical qu’à donner une vision globale de l’œuvre. Si cette approche permet d’apprécier chaque tableau individuellement, elle ne parvient pas toujours à masquer le manque d’élan dramatique de certains passages.

Comme toujours avec Bru Zane, le livret et l’édition sont d’une qualité irréprochable. La prise de son, particulièrement soignée, met en valeur les textures orchestrales et la diction des chanteurs, offrant une immersion totale dans cette partition aux richesses éparses.

Cette version s’impose comme une alternative précieuse à l’ancienne captation de 1992, qui bénéficiait d’une Grisélidis plus magnétique et d’une direction plus incisive. Là où cette nouvelle parution excelle, c’est dans sa lisibilité vocale, la qualité de son enregistrement et la sophistication de son accompagnement orchestral. En revanche, elle ne parvient pas totalement à compenser les faiblesses structurelles de l’œuvre ni à la transformer en une redécouverte majeure du répertoire.

Si cette parution séduit par son raffinement et son honnêteté d’exécution, elle ne supplante pas totalement les versions existantes et peine à imposer Grisélidis comme une œuvre indispensable. Les amateurs d’opéra français y trouveront de nombreuses raisons de se réjouir, ne serait-ce que pour la qualité du travail éditorial et la finesse de l’interprétation. Toutefois, ceux qui espéraient une version de référence absolue pourraient rester sur leur faim, d’autant que l’intérêt même de l’œuvre reste sujet à débat.

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