"Exile" – Patricia Kopatchinskaja, Thomas Kaufmann, Camerata Bern
"Exile" – Patricia Kopatchinskaja, Thomas Kaufmann, Camerata Bern
L’album est un témoignage fascinant du talent hors norme de Kopatchinskaja et de sa capacité à repousser les limites du répertoire et de l’interprétation. Une écoute exigeante, mais enrichissante.
Alpha Classics ALPHA1110
Note : 4/5

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Patricia Kopatchinskaja n'a jamais été une artiste conventionnelle. Fidèle à sa réputation d'interprète engagée et audacieuse, elle nous offre avec Exile un album-concept d’une rare intensité émotionnelle. Associée à Thomas Kaufmann et à la Camerata Bern, elle construit un programme hétéroclite, explorant différentes facettes de l’exil à travers des œuvres de Panufnik, Schubert, Wyschnegradsky et Ysaÿe, tout en intégrant des éléments de musique traditionnelle. Ce projet ambitieux parvient-il à trouver une cohérence musicale et expressive ?
La sélection d’œuvres est aussi passionnante qu'inattendue. L'album s'ouvre sur une transcription de Kugikly, musique traditionnelle pour flûtes pan ukrainiennes et russes, immédiatement suivie par une relecture de la Sonate pour violoncelle n°1 d’Alfred Schnittke, arrangée pour cordes et clavecin par Martin Merker. Cet enchaînement abrupt donne le ton d’un disque où les contrastes sont assumés, voire exacerbés. La version de Schnittke ici présentée brille particulièrement par la tension dramatique de son mouvement central Presto, presque oppressant, tandis que Thomas Kaufmann fait preuve d’une sensibilité remarquable dans le Largo final, restituant toute la dimension élégiaque de l’œuvre.
Le Concerto pour violon d’Andrzej Panufnik, pivot du programme, trouve en Kopatchinskaja une interprète idéale. Son jeu incisif met parfaitement en valeur la dualité du premier mouvement Rubato, entre lyrisme et improvisation structurée. Le Vivace final, enlevé et rythmique, constitue un sommet de l’album, porté par une énergie irrésistible.
Le choix d’intégrer un minuet de jeunesse de Schubert, revisité par Kopatchinskaja, intrigue autant qu’il questionne. Si cette inclusion peut sembler anecdotique, elle sert néanmoins de transition avant l’un des moments forts du disque : le Quatuor à cordes n°2 d’Ivan Wyschnegradsky. La musique microtonale du compositeur russo-français est interprétée avec une maîtrise impressionnante, la violoniste et l’ensemble réussissant à rendre toute la subtilité des écarts de quart de ton, qui ne sont jamais de simples effets, mais véritablement constitutifs du langage harmonique.
Enfin, Exil ! d’Ysaÿe vient clore l’album sur une note poignante. Ce court poème symphonique, trop peu enregistré, trouve ici une interprétation sobre et intense, en parfaite adéquation avec l’esprit du disque.
Comme toujours avec Kopatchinskaja, l’interprétation est profondément habitée. Son violon n’est jamais simplement un instrument, mais une voix qui chante, crie, interpelle. Cette approche, qui fait d’elle l’une des violonistes les plus singulières de notre époque, pourra néanmoins diviser. Certains pourront relever un excès de théâtralité, voire une expressivité parfois outrancière. D’autres salueront au contraire une lecture poignante, où l’urgence dramatique sert à transcender la diversité du programme.
L’ensemble Camerata Bern, sous la direction de Kopatchinskaja elle-même, offre un accompagnement d’une grande précision, avec un sens du dialogue toujours vivant. La prise de son, très immédiate, accentue l’intensité du discours musical, bien que certains passages puissent paraître légèrement âpres.
Si l’audace du programme force le respect, l’album souffre néanmoins d’une certaine dispersion. Le lien thématique de l’exil, bien que pertinent, ne suffit pas toujours à unifier des esthétiques aussi contrastées. Contrairement à d’autres albums-concepts de la violoniste (Time & Eternity, Pierrot Lunaire), Exile donne parfois l’impression d’un assemblage plus hétérogène que véritablement construit.
Malgré cette réserve, l’album reste un témoignage fascinant du talent hors norme de Kopatchinskaja et de sa capacité à repousser les limites du répertoire et de l’interprétation. Une écoute exigeante, mais enrichissante.
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